• Le Limousin a vu fleurir jusqu’à la première moitié du siècle dernier une tradition du violon particulièrement vivante. Dans le Berry, on connaît bien les vielleux et les cornemuseux chers à George Sand. De la vallée de la Vienne au plateau des Millevaches, c’était les violoneux et les chabrettaires, les joueurs de chabrette. Les morceaux n’étaient jamais écrits, jamais notés. On se les transmettait de bouche à oreille, ou plutôt, d’archet à oreille.

    Les violoneux étaient de toutes les fêtes. Fêtes des moissons, kermesses, fiançailles, mariages, baptêmes… Certains jouaient même pour les funérailles. Et s’il n’y avait pas d’occasion, alors le violoneux s’installait le samedi, sur la place du village, parfois accompagné d’un collègue ou d’un joueur de chabrette, pour le seul plaisir de faire tourner les gars et les filles.

    J’ai bien connu Antoine, le mari de la Germaine, du village de Moirnaudin,. L’Antoine, lui, ce qu’il aimait par dessus tout, c’était les noces. Par contre il ne rentrait jamais à l’église. Pas qu’il n’aimait pas les curés, non, mais il disait toujours que ces gars-là ne parlaient pas comme les autres, et qu’il comprenait pas grand-chose à leur verbiage. Alors il attendait les mariés au café, devant un bon pichet de vin. Mais à peine il les apercevait sur le perron de l’église, hop ! Il se saisissait de son violon et entraînait toute la noce par les rues du village.

    Ah ça, fallait voir l’Antoine, la joue sur son violon, marcher en tête, suivi des mariés et de tout le village endimanché, jusqu’à la salle où était dressé le banquet !

    Il était demandé de très loin l’Antoine. Faut dire qu’il ne demandait pas grand-chose pour jouer à une noce. Le repas et trois bouteilles de vin pour l’accompagner. C’est tout. La pièce, il n’en voulait pas. Quand on lui en donnait une il disait de la donner plutôt aux jeunes mariés, qu’en avait davantage besoin que lui. En revanche pour les bouteilles, il ne dérogeait pas. Il lui en fallait trois, pas une de plus, pas une de moins. Il disait qu’il en avait besoin pour jouer. La noce finie, il installait tant bien que mal le violon sur le porte-bagages de son vieux vélo et repartait. Oh, il zigzaguait  bien un peu, mais le vélo connaissait le chemin.

    Le plus impressionnant c’est quand il arrivait à Moirnaudin. Il y avait la grande descente, et la Tourmonne qui coulait en bas, avec le pont étroit pour la franchir. Fallait voir l’Antoine s’engager dans la descente. Un coup de guidon à droite, un coup de guidon à gauche, à droite, à gauche… Et le violon qui brinquebalait sur son porte-bagages ! Sacré Antoine ! Quand on le voyait dans cette descente, on se disait qu’il allait se foutre à la baille… Hé ben non ! Arrivé au pont, pfuiiit ! le vélo filait droit dessus !

    Il n’y a qu’une fois. Au mariage du Jean et de la Louison. La Simone, la mère de la mariée, pour les trois bouteilles elle n’a jamais voulu céder. « Deux bouteilles, ça lui suffira bien à ce vieil ivrogne ! » qu’elle répétait… Le brave Antoine il a joué quand même. Pour les petiots comme il disait. C’est vrai que quand il est repartit le vélo zigzaguait un peu moins. Et dans la descente avant la Tourmonne, il allait bien un peu à droite, un peu à gauche, mais sans plus… Mais au moment de passer le pont, Plouf ! Direct à la baille ! Vous pensez si je me suis précipité !  D’abord j’ai sorti le violon. Vu que le violon n’aime pas trop les bains. Et un violoneux sans son violon… Puis je suis allé sortir le bonhomme. L’Antoine il était tout surpris de se retrouver ainsi le cul dans l’eau de la Tourmonne. Une fois sur la rive je lui ai demandé ce qu’il s’était passé. C’est vrai, il ne ratait jamais le pont et cette noce-là il avait plutôt moins bu que d’habitude !

    « Justement qu’il m’a dit. D’habitude, avec mes trois bouteilles, quand j’arrive en haut de la descente, c’est trois ponts que je vois en bas. C’est pas compliqué je prends celui du milieu et le tour est joué. Mais avec la Simone ! Pas moyen d’avoir ma troisième bouteille ! Elle me plaint le vin pire que si c’était son sang. Alors avec mes deux bouteilles, quand je suis arrivé à la Tourmonne, c’est plus trois ponts qu’il y avait, mais seulement deux ! Droite gauche, droite gauche… Lequel choisir ? Bien malin celui qui sait. J’ai pas pris le bon et me v’là dans la rivière…Tout ça à cause de la Simone ! »

      ©Pierre Mangin 2015

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