•  

              Longtemps j’ai fait rimer éphémère avec inutilité. À la suite de ce vers bancal une horde barbare et dépenaillée de « À quoi bon ? », « Pourquoi se fatiguer ? », «  Pourquoi faire un effort puisque tout va disparaître ? », « Autant abandonner tout de suite… » et autres paroles pessimistes ne fleurant pas la joie de vivre et la gaîté, loin s’en faut. L’éphémère des jours se changeait en inutilité des jours. Dans cet état d’esprit rien ne trouvait grâce à mes yeux. Pas même les arts qui savent si bien nous élever au-dessus de notre condition. Pas même l’amour : il est si doux d’aimer, mais, puisque tout doit disparaître…

              Oui, un petit mot imbécile s’était érigé en garde du corps de l’inutilité, veillait à ce que son règne autocrate ne soit pas troublé. Un petit mot de trois fois rien, quatre lettres, pas davantage. « Mais… ». Un tout petit mot assassin. « Oui, mais… » Rempli de sous-entendus mortifères. « Cette fleur est si belle, mais… elle fanera. » « Ce coucher de soleil est somptueux, c’est vrai, mais… la nuit viendra. » « Fonder une famille, quel bonheur n’est-ce pas ? Oui, mais… Mais les enfants vont vieillir, ils vont souffrir, pleurer. Mourir un jour. Ils me pleureront comme j’ai pleuré mes parents. Alors, à quoi bon ? » « Écrire ? Ô oui, j’adore. Mais que deviendront ces pages accumulées au fil des ans ? Le papier pourrait retourner à la terre, pourrir en douceur dans un joli tas de compost. Oui, mais l’encre et ses produits chimiques ? » Telles des termites capable de mettre à bas la plus solide des charpentes, ce petit « mais » sème le doute, creuse des galeries, mine en profondeur. Il effondre, ruine et ne connaît pas la pitié.

              Le Petit Prince arrive tel un OVNI dans le monde des adultes, dans le monde des gens sérieux. Le géographe veut bien noter les volcans mais se contrefiche de savoir s’ils sont en activité ou éteints. En revanche il refuse de noter la fleur. La fleur éphémère, le plus précieux des biens que recèle la planète du Petit Prince.

              Et c’est là qu’interviennent deux autres petits mots. Deux petits mots qui à eux deux ne sont pas plus grands que le terrible « Mais ». Deux infatigables chevaliers à l’entier service de la vie et de l’espoir. « Et si… » Et si c’était justement l’éphémère qui rendait la fleur si précieuse, si indispensable ? Et si c’était l’éphémère qui conférait à la vie sa magie ? Qui nous obligeait à nous saisir pleinement de chaque instant, puisque aucun d’eux ne revient jamais ? Et si l’éphémère, loin de rimer avec inutilité nous entraînait dans une ronde de vie, d’émerveillement, d’étonnement ?

              La fleur fane, c’est vrai. Sa beauté s’étiole, ses fragrances s’amenuisent. Elle se meurt, non sans avoir auparavant dispersé ses graines. Qui donneront naissance à une multitude… Quant à la fleur elle-même, elle retournera à la terre pour y pourrir tranquillement.

              Ainsi continue le cycle de la vie.

              Alors, éphémère la vie ?

              Pas tant que ça…

     

    ©Pierre Mangin 2023

     

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  • Vendredi 21 juillet, de 17h30 à 19h30, je serai aux Estivales de Saint-Christophe en Boucherie pour dédicacer "Mortelle Envolée"...

     

     

     

     

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  • Choses qui font battre le cœur

     

    Des moineaux qui nourrissent leurs petits.

    Passer devant un endroit où l'on fait jouer de petits enfants.

    Se coucher seule dans une chambre délicieusement parfumée d'encens.

    S'apercevoir que son miroir de Chine est un peu terni.

    Un bel homme, arrêtant sa voiture, dit quelques mots pour annoncer sa visite.

    Se laver les cheveux, faire sa toilette, et mettre des habits tout embaumés de parfum. Même quand personne ne vous voit, on se sent heureuse, au fond du cœur.

    Une nuit où l'on attend quelqu'un. Tout à coup, on est surpris par le bruit de l'averse que le vent jette contre la maison .

     

    (Seï Shôgon « Notes de chevet », pages 59-60)

     

     Ma bien chère Seï Shonagôn,

     

    Après avoir lu ta dernière lettre, je me suis interrogé… Qu’est-ce qui fait battre mon cœur ? Tant de choses le font battre que je ne sais par où commencer. D’ailleurs tenter d’en dresser une liste serait fastidieux.

    Alors je vais procéder comme tu me l’a appris : avec subjectivité. Comme j'aime la subjectivité dont tu fais preuve dans tes notes ! Une subjectivité assumée, revendiquée, spontanée ! Ce qui aujourd'hui est ressenti comme une étroitesse d'esprit tu en fais une ligne de conduite. Quelle liberté il y a à user et abuser de cette subjectivité ! À mon tour d’en user !

     

    Une chose à fait battre mon cœur : notre rencontre. Ce sentiment, à peine ai-je commencé à lire tes « Notes de Chevet », de te connaître depuis toujours. J’imagine l’éclair de malice qui brille à l’instant dans tes yeux, j’imagine ton sourire, presque un rire, qui illumine ton visage alors que tu lis ces lignes. Je le reconnais, ma dernière phrase prête à confusion ! C’est un discours d’amoureux que je viens de te servir ! Rassure-toi, mille années nous séparent, je ne suis pas amoureux de toi ! L’impression de se connaître depuis toujours est un sentiment que l’on partage également lors de certaines rencontres amicales ou intellectuelles, je suis sûr que je ne t’apprends rien, mais tu aimes goûter de la facétie !

    Je ne connaissais rien de toi. Avant notre première rencontre je suis allé sur Internet. Internet est une drôle de chose. Déjà, je trouve curieux de dire « aller sur Internet », alors qu’on ne bouge pas ses fesses de l’endroit où l’on est assis. Internet se gargarise d’un vocabulaire lié au voyage. On y visite un site, on en parcourt un autre, on se rend sur un troisième. On découvre, on s’aventure parfois. Le tout sans bouger si l’on excepte quelques petits mouvements des doigts ou du poignet. Tu pourrais écrire tant de notes sur notre époque !

    Je te disais que j’ignorais tout de toi et que, comme un homme de mon époque, je suis allé surfer sur Internet. Oui, moi dont la tête est aujourd’hui blanchie par les ans, moi qui de ma vie ne me suis jamais projeté montant sur une planche de surf pour affronter la vague, je surfe ! Et en surfant j’ai trouvé l’évocation de ta vie, et, surtout, tes Notes de Chevet, dont je me suis empressé d’acquérir une version dématérialisée pour les découvrir.

    C’est aussi cela notre époque ma bien chère Seï. De chez soi on peut accéder à des mines d’informations dans tous les domaines, accéder à plus de livres que la bibliothèque d’Alexandrie pourrait en contenir. Plus étonnant encore, on peut partir se promener en emportant dans sa poche cette montagne de savoir.

    Tu dois t’imaginer que les femmes et les hommes de mon époque sont plus sages, plus instruits qu’à la tienne. Hélas, je crains de devoir te décevoir… Non, l’humanité n’est ni plus sage ni plus intelligente qu’il y a mille ans. Internet véhicule (toujours ce vocabulaire lié au voyage…), des torrents de haine, de bêtise crasse, d’appels aux plus bas instincts ; au point que certains soirs de pessimisme j’ai l’impression que l’intelligence, la bienveillance, l’empathie ne sont plus que quelques îlots entourés d’une marée furieuse d’imbécillité, d’ignorance, d’inculture, d’obscurantisme et de malfaisance. Je le confesse, cela me fait souffrir parfois…

    Mais je digresse. Il faut dire que je me sens si bien en ta compagnie que je laisse mes pensées aller à leur gré : je sais que tu ne m’en tiendras pas rigueur. Il est des lectures, disais-je, dont je sais avant même de les avoir achevées, qu’elles me laisseront une marque, une trace. Des lectures qui me rendront un peu différent. Un peu grandi ou un peu plus enfant. Un peu plus sage ou un peu plus fou. Mille années nous séparent. Pourtant tes notes sont si modernes, si actuelles, que tu aurais pu les écrire hier. Et j’ai la certitude que mon écriture ne sera plus tout à fait la même depuis notre rencontre. Je pense principalement à l’écriture de l’intime, celle de mon journal, ou celle de cette lettre par exemple. Et la subjectivité, bien entendu, dont je veux m’emparer. Moi aussi, je veux en user et en abuser. L’idée même de la subjectivité à quelque chose de jouissif, je refuse de passer à côté de ce plaisir !

     

    Il est temps pour moi de te laisser, chère Seï, je pense avoir déjà largement abusé de ton temps ! Je vais continuer à parcourir tes Notes de Chevet, en repassant dans ma tête tous ces bons moments que nous avons passé ensemble.

    Bien affectueusement,

     

    Pierre

     

    PS : cet je vais le passer avec Philippe Jaccottet. Je ne le connais que peu, mais il me semble que vous pourriez vous entendre tous les deux. Qu’importent ces presque mille ans qui vous séparent !

     

    ©Pierre Mangin 2023

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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