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    Hum Hum...

    (Image : Ti Swartz de Pixabay)

     

    Ça a commencé un matin. Au début de l’été. Une petite gêne dans la gorge. Trois fois rien en vérité. Une petite gêne qu’un verre d’eau effaçait.

     Puis, après quelques jours, la gêne est devenue un peu plus présente. Le verre d’eau ne l’effaçait plus tout à fait. J’avais besoin de me racler la gorge. Vous savez, comme les gens font avant un concert, ou un spectacle, au moment où les lumières de la salle s’éteignent ? Comme les orateurs font eux aussi avant de prononcer un discours. J’avais besoin de m’éclaircir la voix en permanence, besoin de toussoter tout au long de la journée. Rien de bien méchant. Plutôt une gêne qu’une véritable douleur.

     Rien de bien méchant mais les questions ont commencé à fuser. Qu’est-ce que tu as ? Tu as avalé de travers ? Tu fais une allergie ? Je rassurais mon monde. Rien de tout ça ! Le temps humide peut-être.

     Ce début d’été était si mauvais…

     Puis, peut-être était-ce autour de la fin juillet, mes raclements discrets, mes toussotements, sont devenus véritable toux. Des quintes longues, douloureuses, qui ne me laissaient que peu de répit. Ce n’est plus des questions que je récoltais, mais des regards mauvais. Dans la rue, quand une quinte me prenait, les gens s’écartaient de moi. Depuis leurs jardins mes voisins me regardaient d’un sale œil. Mes amis m’évitaient, ma famille elle-même me suppliait de faire quelque chose. Ils me suppliaient, mais je le remarquais, en se tenant loin de moi.

     Au fond je comprenais. Dans cette période de pandémie que nous traversons depuis plus de deux ans, quelqu’un qui tousse fait peur. Les gens ne peuvent s’empêcher de penser que dans cette toux, la mort se cache, prête à fondre sur eux. Mais où aurais-je bien pu attraper la Covid ? Je sors peu, je respecte scrupuleusement les gestes barrières, je me lave les mains cinquante-sept fois par jour… Cependant mes quintes de toux devenaient de plus en plus longues, rapprochées, douloureuses. Alors j’ai pris rendez-vous pour me faire tester.

     Histoire de rassurer tout le monde.

     Histoire de me rassurer également. Ils avaient réussi à m’instiller de la frousse avec leurs insinuations…

     À peine reçu le message du labo m’informant que mes résultats étaient disponibles, je me précipitai. Négatif. Je soufflais un grand coup avant de partir dans une quinte de toux qui me sembla durer une éternité.

     Le lendemain j’ai vu ma doctoresse. Elle m’a examiné longtemps, sous toutes les coutures, nez, gorge, oreilles… Rien, elle ne trouvait rien. En désespoir de cause elle commença à me demander si tout allait bien dans ma vie.

     C’est l’éternel problème avec les médecins. Quand ils ne trouvent pas une cause mécanique à un problème, ils pensent à la tête, la neurasthénie, la dépression, le cafard.

     — Mais non, tout va bien ! Tout ! La famille, les amis, les loisirs, tout vous dis-je.

     Je lui ai même parlé de ma passion de la lecture. Par le passé j’avais eu l’occasion de lui exposer toutes les richesses et tout le bien que lire me procurait. Cet été je l’ai passé avec Colette, et cet automne, j’avais bien l’intention d ela partager avec Stefan Sweig.

     — Tout va bien vous dis-je !

     Au nom de Colette ma doctoresse a réagi.

     — Colette dites-vous ? Elle a sorti une feuille de son tiroir et s’est empressée de rédiger une lettre de recommandations pour l’un de ses confrères, Orl en ville.

     Installé sur son fauteuil je me suis laissé examiner une nouvelle fois. L’Orl m’a pressé, tâté, tapoté, avant de me passer des instruments plus barbares les uns que les autres.

     Enfin il a paru satisfait, réjoui presque. Il a jeté ses gants en latex pour en enfiler une nouvelle paire qui lui montait jusqu’au coude.

     — Ça ne sera pas long, m’a t-il dit pour que mon inquiétude redescende d’un cran. Ça ne sera pas long mais ça va être désagréable, très désagréable. Mon inquiétude est remontée de trois crans.

     Il m’a ouvert la bouche à m’en décrocher les mâchoires puis il a enfoncé sa main droite au fond de ma gorge. Je me débattais mais de sa main gauche il me plaquait fermement au siège. Le bougre passe son temps libre à jouer au rugby, je ne faisais pas le poids.

     Enfin, après un temps qui me parut interminable, il sortit quelque chose de ma gorge.

     — Miaou…

     — Miaou ?

     — C’est une femelle ! exulta l’Orl.

     Avant que je puisse dire ouf, il avait replongé sa main au fond de ma gorge pour la ressortir avec un second chaton.

     — C’est un mâle ! Le choix du roi, vous êtes verni !

     Je suais, je tremblais, j’avais chaud, froid, mais je ne toussais plus…

     — Regardez comme le mâle s’étire ! continua l’Orl qui ne finissait pas de s’extasier devant les boules de poil.

     Je ne toussais plus ! Mes voisins allaient à nouveau me sourire, mes amis me taper sur l’épaule et ma famille cesser de s’inquiéter.

     C’est ainsi que je rentrais chez moi. Sans ma toux. Mais avec deux chats dans un panier que m’avait obligeamment prêté l’Orl.

     Je les ai nommés Kiki la Doucette et Babou.

     En souvenir de mon été avec Colette.

     ©Pierre Mangin 2022

     

     

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  • Mon Image et moi

     

    Mon image et moi n’avions jamais vécu de crise sévère. Pour résumer disons que sans être en amitié nous n’étions pas non plus en inimitié.

    Le plus souvent c’est le matin que nous nous croisions. Je la regardais, elle me regardait, je lui souriais, elle me rendait mon sourire.

    Après je vaquais à mes occupations. Je supposais que de son côté il en était de même.

    Dans la journée il arrivait que nos chemins se croisent. Au détour d’une vitrine, d’un miroir de bar ou de restaurant, du rétroviseur de la voiture. Nous agissions alors en personne civilisées. Bien sûr, ces inadvertances nous contrariaient, mais nous ne jouions cependant pas ce jeu hypocrite qui consiste à laisser croire que nous ne nous connaissions pas.

    D’un léger signe de tête je la saluais, elle répondait à mon salut tout aussi furtivement, et c’était tout.

    Nos rapports étaient teintés d’une indifférence polie…

    Et puis, un matin, c’était un mardi, où était-ce un lundi ? En tous cas pas un dimanche. Quand je me suis présenté devant le miroir de la salle de bain, mon image me tournait le dos.

    Un peu surpris par son attitude pour le moins cavalière, je lui laissais cependant le bénéfice du doute. Peut-être ne m’avait-elle pas entendu. Je toussais donc, comme on tousse devant un fonctionnaire que l’on souhaite faire réagir.

    Aucune réaction…

    Je toquais à la surface du miroir. Rien. J’insistais en toquant de plus en plus fort.

    Mon image daigna se retourner et s’apercevoir de ma présence.

    Elle extirpa de ses oreilles une paire d’écouteurs et me dit, avec un brin d’effronterie :

    Ah, c’est toi ?

    Ben oui, c’est moi ! Qui veux-tu que ce soit ? Qu’est-ce que tu faisais ?

    Oh, j’écoute de la musique. Gaël Faye, Pili pili sur un croissant au beurre. Tu connais ?

    Mon image m’entretenait de musique… On nageait en plein surréalisme ! Il me fallait reprendre les choses en main :

    Tu ne me salues pas ce matin ?

    Non.

    On peut savoir pourquoi ?

    Pas envie.

    Je ne comprends pas…Ça fait des années qu’on se salue chaque matin avant de partir chacun pour nos occupations. Je te fiche une paix royale toute la journée, je ne te demande aucun compte. Alors ?

    Plus envie.

    Plus envie, plus envie ! Ce n’est pas une réponse ça !

    Mon image sembla réfléchir.

    Je ne t’aime plus.

    Diable ! Mais pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

    Rien justement, tu n’as rien fait. Tu sais, avec les autres images, on parle. On échange. Tiens, l’autre jour j’ai rencontré l’image d’un chanteur célèbre. Elle est partout ! Sur les couvertures de magazines, sur des affiches apposés sur les bus, sur des pochettes de CD. Elle a une vie trépidante, elle voyage, elle visite les cinq continents ! Toi tu ne fais rien. Tu es juste un homme ordinaire comme il en existe tant sur la Terre. Tu m’ennuies. Voilà, la vie avec toi est ennuyeuse.

    Tu exagères ! Je fais plein de choses !

    Oh oui, bien sûr… Tu te contentes de si peu. Mais moi j’ai envie que tu changes, que tu sois adulé pour quelque don que tu développerais. Comme ça moi aussi je serais adulé…

    Tu sais, à mon âge… C’est peut-être un peu tard pour devenir rock star !

    M’en fous ! Débrouille-toi ! Je veux que tu changes !

    Mon image ne voulait rien savoir. Elle s’était mise en tête d’être une autre. Et pour parvenir à ses fins elle exigeait que je devienne un autre ! Une espèce de moi en mieux…

    Depuis ce jour, quand le la croise dans la salle de bain, elle fait semblant d’être occupée. Pire, certains jours elle me grimace sans honte.

    Et si le la croise par hasard au cours de la journée elle m’ignore avec superbe, fait celle qui ne me connaît pas…

    Je crois que mon image est devenue hypocrite…

    Et j’ai peur…

     

    ©Pierre Mangin 2022

     

     

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  • Dimanche 26 Juin aura lieu le premier salon du livre de Valençay, à la Halle au blé.

    J'y serai au stand des Editions La Bouinotte...

     

     

     

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