• Que d'eau, que d'eau...

    Que d'eau, que d'eau...

    (Image : Dimitris Vetsikas de Pixabay)

     

    Juliette m’avait mis l’eau à la bouche en me promettant monts et merveilles ! Un repas somptueux, des vins extraordinaires et d’autres délices encore que ma mère m’a défendu d’évoquer ici. Je sortais alors d’une relation difficile avec une furie championne interrégional de lancement de vaisselle, et, comme dit le proverbe, chat échaudé craint l’eau froide : je n’étais pas chaud… La vie de célibataire me convenait, je n’avais nulle envie d’aventure.

     

    Et puis, et puis… Et puis il ne faut jamais dire fontaine je ne boirai pas de ton eau… J’ai fini par accepter son rendez-vous. Après tout, de l’eau avait coulé sous les ponts depuis ma rupture tumultueuse avec la briseuse de porcelaine (et d’autres parties de mon anatomie que ma mère m’a défendu de nommer ici), il était temps pour moi de me reprendre en main, m’investir dans une nouvelle relation ne pouvait me faire que le plus grand bien.

     

    Le jour J je m’étais mis sur mon 31 : un peu de cérémonial ne nuit pas à un rendez-vous galant, bien au contraire. Je la trouvais vêtue d’un survêtement défraîchi, avec aux pieds une paire de mules d’une couleur indéfinissable. Je m’attendais à un repas de roi. Compte là-dessus et bois de l’eau bien fraîche ! La gastronomie pour elle s’arrêtait à la porte du micro-onde. Elle y inséra une barquette qu’elle ressortit quelques minutes plus tard. La chose était fumante, d’un aspect peu engageant et délivrait des fumets repoussants. Elle m’en servit une grande louche qui se colla dans le fond de mon assiette avec un bruit spongieux avant de me plomber l’estomac. J’oubliais : elle baptisa la chose hachis parmentier… En guise de grand cru elle me servit du vin issu de la communauté européenne dans un Duralex opaque. C’est bien simple, j’ai été obligé de mettre de l’eau dans mon vin pour que celui-ci ne détruise pas mon gosier au passage. C’était clair comme de l’eau de roche, ma soirée était en train de tourner en eau de boudin…

     

    Moi qui pensais avoir déniché en Juliette un diamant de la plus belle eau, je me retrouvais en tête à tête avec une harengère mal fagotée, sans conversation, moi qui aime tant les subtilités de cet art délicat.

     

    Les choses se gâtèrent après le dessert (un yaourt nature périmé depuis de trop nombreuses semaines) Elle désirait sans tarder m’entraîner dans sa chambre à coucher. Pour elle la chose coulait de source, il fallait parfaire la soirée dans l’intimité de son lit.

     

    Elle avait adopté pour me convaincre l’œil égrillard et la pose suggestive. C’était pour moi la goutte d’eau qui fit déborder le vase. J’en avais assez de cette soirée, il était hors de question que je la continue, dans son lit ! Je lui annonçais sans ambages. J’expliquais gentiment qu’il y avait beaucoup d’autres poissons dans l’eau, qu’elle trouverait sans doute un garçon bien mieux que moi pour l’inviter dans son lit. La bougresse ne l’entendait pas de cette oreille. Elle refusait tout net de rester le bec dans l’eau et commença à me tirer de force vers sa chambre à coucher ! Je résistais, bien sûr, mais elle était costaude pour avoir pratiqué de longues années le rugby féminin. La lutte tournait en ma défaveur. La solution aurait été de me jeter à l’eau, que passe au plus vite ce moment difficile. J’étais prêt à abandonner quand j’ai été sauvé par le gong.

     

    Enfin, par un coup de sonnette. C’était sa sœur, Juliette, la vraie ! Les jumelles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, elles habitaient deux maisons mitoyennes, je m’étais trompé de porte. Entre les deux frangines, il y avait de l’eau dans le gaz, elles étaient feu et eau, aussi Julie, l’harengère, ne m’avait pas détrompé, ravie de jouer un bon tour à Juliette. J’étais en quelque sorte le dindon de sa farce…

     

    Je repartis avec la douce Juliette. Méfiez-vous de l’eau qui dort ! La douce était furieuse. Furieuse que j’ai pu confondre sa sœur avec elle, que j’ai pu passer toute la soirée en sa compagnie alors qu’elle m’attendait à quelques mètres.

     

    Cette fois ma soirée partait à vau l’eau. Après avoir nagé entre deux eaux, j’étais sous l’eau. Juliette m’interdit pour toujours la porte de sa maison et bien d’autres choses que ma mère serait furieuse si j’en parlais ici.

     

    Je repartis chez moi à pied. Cette soirée pour rompre ma solitude était un coup d’épée dans l’eau. C’est mon voisin Michel, célibataire endurci depuis tant d’années, qui allait être content : j’allais porter de l’eau à son moulin…

     

     ©Pierre Mangin 2023

     

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