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    Premiers Pas

     

    (Image Gerhard Bögner de Pixabay)

     

    La verticalité… Mais qu’ont-ils tous avec ça ? Une vraie obsession… Sous prétexte que ce serait la norme, il faudrait que moi aussi je l’adopte ? Mais ils m’embêtent à la fin ! Pas une journée ne se passe sans qu’ils exigent de moi cette position aux antipodes de mes aspirations. Sans qu’ils cessent de me seriner. « Allez, debout ! Tu peux le faire ! » Une ritournelle, un mauvais refrain.

    De temps en temps, pour leur faire plaisir, et uniquement pour leur faire plaisir, j’essaie.

    Je m’agrippe à une chaise, pousse sur mes jambes, trouve un point d’équilibre précaire, et je lâche la chaise. Ah ! Il faut les entendre s’esbaudir, se pâmer, s’exclamer ! Faudrait pas exagérer non plus, je ne viens pas d’inventer la théorie de la relativité, et le prix Nobel de physique est encore loin.

    Pendant que je suis ainsi à flageoler sur mes jambes en tentant de garder l’équilibre, et cette foutue verticalité qui leur semble si chère, il y a toujours un petit malin qui trouve rigolo d’enlever la chaise. Moi, bien sûr, ça ne loupe pas : au bout de trois secondes, patatras ! Je me retrouve sur les fesses. Et eux ils rigolent… Si, si, me voir me casser la margoulette les amuse ! Et là, cerise sur le gâteau, le rigolo de service (souvent le même qui a reculé la chaise) s’exclame : « Heureusement il a sa couche, ça ne lui fait pas mal ! » Ça ne lui fait pas mal ! Mais qu’est-ce que tu en sais ? Les résonances dans toute la colonne vertébrale, jusque la fontanelle qui vibre ! Sans compter cette sensation de vide sidéral tout le temps que dure la chute. Tout qui part en arrière, plus de point d’appui, plus de repère, tout mon monde qui chamboule. Je tombe sans savoir quand la chute va s’arrêter. Oui, je sais, sur mes fesses et ça ne fait pas mal grâce à la couche, on me l’a déjà dit, ça amortit…

     

    Ah oui, la verticalité, parlons-en ! Bon, Maman et Papa, faut reconnaître, sont deux beaux exemples de verticalité, il n’y a rien à redire. Ils se tiennent droits comme des I. Maman est gendarme, Papa militaire. Il paraît que dans ces métiers ils sont très à cheval sur le concept, qu’ils ne transigent pas.

    Mamie et Papi, la verticalité c’est déjà beaucoup plus approximatif…

    Le pire c’est mon Tonton. Un grand dadais d’ado comme l’appelle Papa. Lui, quand il vient à la maison, il est à peu près vertical. Mais à peine il arrive dans le salon, il se jette sur le canapé, se vautre, s’étale comme un fruit trop mûr. Il sort son écran magique de sa poche, celui qui fait des couleurs et pleins de bruits bizarres, et là il est perdu pour tout le monde. Personne ne lui intime d’être vertical à mon tonton. Pourquoi ?

    Et puis il y a mon arrière Mamie et mon arrière Papi, Mamé et Papé. Pour eux la verticalité n’est plus qu’un lointain souvenir, je peux vous l’assurer. Mamé a le dos aussi rond qu’un ballon, elle ne se déplace ni debout ni à quatre pattes mais en chaise roulante ! Quant à Papé, il est vertical, c’est vrai, jusque en haut des fesses. Après il est horizontal ! Il a besoin d’une petite canne pour marcher sinon le poids de sa tête l’entraînerait en avant ! Personne n’exige qu’ils se tiennent debout, qu’ils soient verticaux.

    Alors que moi… On ne rate jamais une occasion de me le rappeler.

    Je ne comprendrais jamais pourquoi ils veulent me voir debout. Si j’ai besoin d’un truc qui se trouve à l’autre bout de la pièce, j’y trotte à quatre pattes et le tour est joué. Où est le problème ?

    Vous voulez que je vous dise ? Je crois que la vie est pleine d’injustice.

     

    ©Pierre Mangin 2024

     

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    Moi, les animaux, j'aime pas beaucoup

    Moi, les animaux, j’aime pas beaucoup. Je ne leur fais pas de mal, non, mais quand un chien vient me renifler mes bas de pantalon, je lui file un grand coup de tatane dans le museau. Histoire de lui apprendre la politesse.

    Mon voisin nourrit les oiseaux. Il n’arrête pas de construire des cabanes pour eux, et de mettre à l’intérieur de ces boules de graines conglomérées avec de la graisse. Les oiseaux ça piaille, ça fait un raffut du tonnerre. Surtout l’été. Et je vous parle pas des fientes. La nuit je vais dans le jardin de mon voisin. Je prends toutes les boules, et hop, à la poubelle. Cet imbécile croit que ce sont des pies qui les lui volent ! Alors il rachète. Bah, il finira par se lasser.

    Moi, les animaux, j’aime pas beaucoup. Mon voisin est stupide. Il a installé dans son jardin un de ces « hôtels à insectes ». C’est très à la mode en ce moment, on en trouve partout, ça fait bien d’avoir ça dans son jardin. Il met un hôtel à insectes alors que l’homme a mis des siècles à mettre au point des produits sensas pour s’en débarrasser. D’ailleurs les jardineries en regorgent, c’est pas pour rien. Insecticides, destructeurs en tous genres, vermicides, exterminateurs… En piège, en aérosols, en poudre, vous avez le choix. D’ailleurs, s’il y avait moins d’insectes, il y aurait moins d’oiseaux aussi.

    Moi, les animaux, j’aime pas beaucoup. Mon voisin est fou je crois. Il fait du compost. Un jour il m’a dit qu’il y avait plein d’animaux qui venait se nourrir dans son compost. Des vers, des mille pattes, des perce-oreilles, et même des limaces et des escargots. Il était tout fier ce cinglé ! Moi, des limaces et des escargots, je peux vous garantir que j’en ai aucun dans mon jardin ! Je mets des petits granulés bleus, c’est super efficace. Quand j’ai commencé à en mettre, je retrouvais des coquilles vides. Maintenant plus rien ! Envolés les rampants ! Et puis, du compost, franchement, quelle idée… Il y a tous les produits qu’il faut pour s’occuper du jardin sans s’embêter. Mon voisin est en colère. Il dit que ce sont mes granulés qui ont tué ses deux chats.

    Moi, les animaux, j’aime pas beaucoup. Mais je ne leur fais pas de mal. Ses chats n’avaient qu’à pas venir dans mon jardin.

    À cause des champs derrière, on a des lapins qui viennent dans le lotissement. Les gens trouvent ça mignon. Les gens sont fous. Moi j’ai installé une clôture électrique autour de mon jardin. Quand les lapins viennent s’y frotter le nez, ils prennent une décharge ! Faut les voir détaler ! J’aurais bien aimé installer quelque chose de plus puissant. Quelque chose qui les grille sur place, mais il paraît que c’est pas autorisé. On marche sur la tête. Je vois pas en quoi ça dérange de griller des lapins. On en mange bien !

    Bientôt les animaux sauvages vont être interdits dans les cirques. Moi, les animaux, j’aime pas beaucoup. Mais je trouve ça dommage. Pour les gamins voir des tigres, des lions, des éléphants qui se prennent des coups de fouet sur la couenne, qui font pas le malin devant le dompteur, ça leur montre qui c’est le patron sur la terre. Et c’est pas les animaux !

    Moi, les animaux, j’aime pas beaucoup. Mais je leur fais pas de mal.

     

    ©Pierre Mangin 2024

     

     

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    C’était une rencontre improbable. Sur un banc, dans les jardins des Cordeliers. Je bayais aux corneilles, laissant mon esprit s’envoler. Grand, maigre, des traits anguleux, une chevelure de neige, un homme s’est assis à mes côtés.

     Il s’est penché vers moi, mystérieux :

     — Je parle aux oiseaux…

     Misère, j’étais tombé sur un type désireux de partager le vide de son existence.

     Siffle beau merle, pensai-je in petto !

     — C’est bien ça…

     — Vous doutez ?

     Susceptible en plus. Je tentai un

     — Mais non, mais non…

     ni très convaincu, ni très convaincant.

     — Écoutez !

     

    Et voilà que l’homme se met à chanter. Chanter ou siffler, je ne savais trop. Il enchaînait trilles, roucoulades, montées de gamme rapides, suivis de descentes en escalier, poussait de temps en temps de petites notes suraiguës avant de continuer dans une cascade de roulements de gorge. Il gonflait le jabot, tendait vers le ciel une bouche en cul de poule, je n’aurai pas été surpris de le voir lisser ses plumes.

     Quand il eut fini, je fus obligé d’admettre :

     — Vous possédez un joli talent d’imitateur.

     — Ma parole, vous avez une cervelle d’oiseau !

     Se tournant, il prononça cette phrase étrange :

     — Pardon mes très chers…

     

    C’est alors que je les aperçus. Six ou sept mésanges, alignées en rang d’oignon sur la plus basse branche d’un tilleul. Elles nous dévisageaient.

     Soudain elles se mirent à pépier. Des petits cris brefs, répétés. Elles semblaient parler toutes ensemble. Et n’être pas contentes…

     À côté de moi mon beau vieillard avait perdu toute tenue. Il se marrait, se bidonnait, se tordait de rire, et j’avais la désagréable impression que c’était à mes dépens.

     — Je ne devrais pas, mais elles sont trop drôles. Elles me disent que vous êtes comme une poule qui vient de trouver un œuf et que si votre ramage se rapporte à votre plumage alors il est urgent de s’enfoncer du duvet au fond des oreilles !

     

    Et voilà que les mésanges s’égayent en tous sens et qu’un corbeau plus noir que geai s’installe sur la branche.

     — Il croasse son étonnement, me traduisit le vieil homme. Pourquoi jouez-vous à être gai comme un pinson alors qu’on vous a coupé les ailes ?

     Des moineaux rejoignirent le corbeau. Ils étaient très remuants et pépiaient ce qui ressemblait à des invectives.

     Encore une fois, l’homme qui parlait aux oiseaux me traduisit :

     — Ils disent qu’on pourrait bien vous revêtir d’un toupet et d’une queue de pie vous aurez toujours l’air d’un butor mal léché… Désolé, les moineaux se montrent parfois irrévérencieux !

     

    C’est alors qu’un couple de pies rejoignit la nuée de moineaux. À n’en pas douter elles avaient entendu qu’on parlait d’elles.

     Selon leur habitude elles se mirent à jacasser. Je n’étais pas au bout de mes surprises. Les pies envolées, je trouvais mon acolyte bien embarrassé :

     — Je ne sais pas si je peux me permettre…

     — Au point où j’en suis, vous gênez pas !

     — Elles vous prennent pour un merle blanc… C’est vrai, vous êtes fier comme un paon, vous avez des yeux de hibou, vous êtes gras comme une caille, elles vous soupçonnent de manger comme un jeune coucou, tout ça ne fait pas de vous le phénix des hôtes de ce bois !

     — Des attaques sur le physique maintenant ! Bravo !

     — Ne soyez pas vexé, les oiseaux ne vous veulent aucun mal. Ils s’accordent pour dire qu’il vous en faudrait peu pour changer. Vous en mieux, ça vous tente ? Autorisez-vous l’émerveillement ! En écoutant chanter les oiseaux par exemple. Vous laisser porter par leur musique suffirait !

     Je baragouinai un vague :

     — Je vais y réfléchir.

     et repartis boitillant : mon œil de perdrix était douloureux.

     

    Promis, demain au réveil je n’allume pas la radio. Je me laisse bercer par le chant des oiseaux.

     Il paraît qu’ils donnent un concert chaque matin…

     

    ©Pierre Mangin 2024

     

     

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