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Par Pierre M le 12 Septembre 2024 à 06:06
Je me souviens de vos mains. Vos mains de nouveau-né. Si fines, si douces, à la peau encore un peu fripée d’avoir passé tous ces mois dans une atmosphère liquide.
Je me souviens qu’il était doux de vous regarder les bouger. Vous n’aviez pas encore la conscience de vos mains, vous les découvriez, dans vos yeux se lisait l’étonnement.
Je me souviens quand vous avez réalisé que vos mains étaient vos mains. Vous les faisiez danser devant vos yeux, émerveillé, ébahi par toutes ces possibilités que vous commenciez à envisager.
Je me souviens de la première fois que vous avez enserré un de mes doigts dans vos mains. Vos paumes refermées sur mon doigt, vos petites fossettes entre vos phalanges. Moi le géant, moi la masse qui pesait plus de vingt fois votre poids, moi aux mains tavelées par les ans, vous me reteniez prisonnier dans votre menotte. Je l’avoue, j’étais un prisonnier volontaire, ému d’être ainsi retenu.
Je me souviens de vos mains essayant d’attraper mes lunettes. Moi qui luttais en riant !
Je me souviens de la première fois où vous avez saisi mes cheveux. Comme vous les agrippiez, comme vous tiriez ! Comme je me débattais… Quelle poigne vous aviez déjà !
Je me souviens de vos mains dans la mienne, pour accompagner vos premiers pas hésitants. Vos mains si remplies de confiance en l’adulte que je suis. Je me souviens de la tendresse, du partage, de l’émotion de ces moments uniques. Vos mains dans la mienne pour aller et vous protéger des dangers.
Je me souviens de vos mains tenant vos premiers crayons. Poing serré sur le bois vous dessiniez des gribouillis, des hommes têtards, des soleils illuminaient vos feuilles. Vos premiers coloriages, la concentration pour ne pas dépasser le trait, vous en tiriez la langue !
Je me souviens de vos mains devenues plus légères sur la feuille. Vos premières maisons, rideaux aux fenêtres, cheminée fumant sur le toit, fleurs multicolores dans le jardin.
Je me souviens de vos mains assurées et joyeuses quand nous construisions des tremplins immenses pour les petites voitures. Nous utilisions des cubes, des boîtes de chaussures vides, des bandes dessinées. Quel bric-à-brac nous mettions alors dans le salon ! Et comme vos mains étaient enthousiastes !
Je me souviens de vos mains prenant de l’assurance au fil des ans, construisant en Lego des œuvres de plus en plus complexes, montant des pièces de mécano avec habileté.
Je me souviens de vos mains créant, inventant. Et de ma fierté…
Je me souviens de vos mains pleines de malice au-dessus de l’échiquier. Vos mains s’apprêtant à acculer une de mes pièces maîtresses. Était-ce une tour ou un fou ?
Je me souviens de vos mains aux connaissances déjà multiples, de leur bonheur à construire avec moi un instrument de musique, de vos mains occupées à scier, percer, poncer, coller, vernir… Vos mains admiratives devant leur création achevée.
Merci mes chers petits-enfants pour tous ces instants magiques qui ensoleillent et réjouissent mes souvenirs.
©Pierre Mangin 2024
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Par Pierre M le 23 Novembre 2019 à 07:15
— Lucas ! Viens manger, c’est l’heure !
Lucas, six ans et une poignée de jours, abandonne à regret ses petites voitures et se dirige vers la cuisine.
— Et après manger, on fait quoi après manger Papa ?
— Que dirais-tu d’aller se promener au square ? J’ai vu qu’ils avaient installé de nouvelles balançoires super chouettes.
— Et après ?
— Après ? Et bien après nous pourrions aller donner du pain sec aux canards dans les jardins des Cordeliers.
— Et après ?
— Après ? Après que les canards auront dévoré tout notre pain, on pensera à notre propre goûter. Je te propose d’aller au salon de thé, cour Saint Luc. Il paraît qu’ils font des flans à la vanille du tonnerre. Et aussi qu’on peut y boire un chocolat chaud à se lécher les babines !
— Hum… Et si je finis pas mon flan on ira le donner aux canards ?
— Si tu veux ! Mais je ne sais pas si les canards aiment le flan. Et puis je suis sûr que tu vas finir ta part, goulu comme tu es !
— Et après ?
— Quoi après ?
— Ben après le parc, les balançoires, les canards, le chocolat et encore les canards pour leur donner les restes de flans, après, on fait quoi, après ?
— Dis donc ! Tu veux tout savoir toi ! Et bien après tu verras bien ce qu’on fait.
— Non, moi j’veux savoir tout de suite ! J’aime bien savoir.
Vincent, la trentaine désabusée, regarde attendri son petit Lucas, six ans et une poignée de jours. Lucas boude, contrarié de ne pas savoir de quoi sera remplie son après-midi à la fin du programme annoncé par son père.
Vincent se met à croupetons pour être au niveau de Lucas :
— Tu veux savoir ce qu’on va faire après ? Et bien je vais te le dire. Après, ce sera l’heure de revenir à la maison, de lire un peu ton livre de lecture, de prendre le bain, de manger et d’aller au dodo après avoir raconté une histoire. Voilà, tu es content maintenant, tu sais tout ?
— Oui Papa ! crie Lucas en sautant pour s’asseoir sur sa chaise.
Pendant le repas, tout en mangeant de bon appétit, il raconte mille choses à son père. Des histoires de l’école, d’autres avec sa Mamie et son Papi avec qui il passe tous ses mercredi après-midi. Des histoires d’enfant qui tour à tour émeuvent son père, l’émerveillent et le font sourire. Alors qu’il s’apprête à enfourner sa première bouchée de petit suisse à la fraise, Lucas suspend son geste. La cuillère reste en l’air.
— Dis Papa, après le dodo, Maman elle sera là ?
Le cœur de Vincent se serre.
— Non mon chéri… Après le dodo Maman ne sera pas là… Tu sais, nous en avons parlé déjà, Maman elle ne pourra jamais revenir de là où elle est.
— Oui, j’ai compris. Quand on est mort c’est pour toujours. C’est trop nul ! Mais après ?
— Après quoi mon chéri ?
— Ben là, Maman elle est morte. Mais après qu’elle est morte ?
— Après la mort, Lucas, il n’y a plus d’après…
— C’est la fin alors ?
— Oui et non.
— Je comprends rien !
— Disons que la personne, quand elle est morte, comme ta maman, la personne ne peut plus revenir. Mais nous, tant qu’on pense à cette personne, tant qu’on continue de l’aimer, cette personne, ta maman par exemple, continue de vivre.
Vincent touche la poitrine de Lucas
— Ici, dans ton cœur.
Il lui touche aussi le front.
— Et aussi ici, dans ton âme. Ta maman, tu ne la vois pas, mais elle, elle te voit. Elle prend soin de toi, elle t’aime toujours aussi fort.
Soudain, Lucas semble avoir une illumination :
— Ça y est Papa ! Je sais ! Je sais ce que Maman elle fera après ! Après, quand elle en aura assez d’être morte, Maman elle se transformera. En oiseau, ou en nuage, quelque chose qui vole, pour aller partout où elle veut et voir tout depuis le ciel ! Et même elle pourra être un jour un oiseau, un jour un nuage. Et un autre encore le vent ou la pluie. Comme ça elle pourra même nous toucher ! Et elle sera très contente de ne plus être morte mais de s’être transformée en oiseau ou en pluie ou en nuage ou en vent !
Vincent essuie furtivement la larme qui pointe au coin de son œil.
— Je crois que tu as raison Vincent… Maman va se transformer en vent ou en nuage. Comme ça elle sera tous les jours avec nous. Maintenant finit ton dessert. Et après tu vas te laver les dents pendant que je fais la vaisselle.
— Et après on va aux nouvelles balançoires super chouettes ?
— Oui, après on va aux nouvelles balançoires super chouettes ?
Lucas pousse un cri de joie et dévore son petit suisse à la fraise.
Un peu plus tard dans le square, dans l’une de ces nouvelles balançoires super chouettes, alors que son papa le pousse très fort et très haut, Lucas regarde les nuages. Dans les formes fantasmagoriques et changeantes qu’ils prennent, il cherche à voir si le visage de sa maman apparaît.
©Pierre Mangin 2019
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