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Par Pierre M le 10 Décembre 2023 à 05:12
L’école où j’appris l’ABC professait des méthodes avancées. La base de l’éducation reposait sur une formule. Une formule unique, pierre angulaire de l’édifice, pilier des sept sagesses à elle seule, fondation posée sur le roc inébranlable des certitudes des fondateurs. Formule gravée sur le fronton de l’école. Lapidaire, cinglante ; aucun des enfants qui franchissaient la lourde porte de l’établissement ne pouvait l’ignorer. Ceux qui la gravèrent l’avaient voulu volontairement courte pour mieux qu’elle s’inscrive dans les cerveaux malléables des enfants. Pas même une phrase ; un mot. Pas même un mot ! Un verbe… Désobéir… Désobéir… Voilà le verbe sous lequel chaque matin, chaque midi ; par la volonté farouche des architectes de cette fondation novatrice ; les enfants passaient. Non content d’être gravé sur le fronton de l’école, le verbe était décliné à l’infini dans la cour. Désobéir, en lettres vives dans le préau. Désobéir en lettres capitales sur chaque porte de classe. Désobéir en tous sens sur les murs extérieurs des classes. Désobéir savamment marqué à l’aide de tuiles de différentes couleurs sur le toit de l’édifice. Désobéir sur des panonceaux de bois se balançant sur les branches de l’unique arbre de la cour. Désobéir carrelé sur le sol du patio. Désobéir façon mots croisés sur la porte des toilettes. Désobéir façon vitrail sur les vitres de la cantine. Désobéir sur la couverture de chaque livre, juste au-dessus de la matière. Désobéir à l’encre bleue sur chaque cahier, juste en dessous du nom de l’élève. Désobéir reproduit à l’infini sur les cahiers de liaison.
Le verbe choc se répétait encore dans toutes les salles de classe, en des maximes d’une morale toute particulière. « Désobéir est un devoir », pouvait-on lire dans la classe des cours préparatoires. « Désobéir, une chance pour mon avenir », proclamait une banderole tendue au-dessus du tableau noir des CE2. Quant aux CE1, en guise d’apprentissage de la conjugaison, un poster géant conjuguait le verbe à tous les temps de l’indicatif, du subjonctif et du conditionnel. « Désobéir, un acte citoyen », proclamait la maxime affichée dans la classe des CM2, les plus grands de l’école. L’année précédente ils avaient eu droit au mystique : « Désobéir, une respiration de l’âme. » Désobéir, désobéir… Le verbe revenait sans cesse, entêtant leitmotiv, et finissait par s’inscrire d’indélébile façon au plus profond des âmes enfantines.
N’imaginez pas que nous jouissions dans cette école d’un bonheur sans faille. Les maîtres pouvaient se montrer sévères, les punitions tombaient aussi facilement que les feuilles d’automne. Il n’était pas rare d’être en retenue après la classe pour avoir refusé de… désobéir.
Combien de fois ai-je été consigné au fond de la classe à noircir de pleines feuilles de ce simple verbe : « Désobéir ». Mes professeurs s’étaient promis de m’inculquer ce principe de gré ou de force, de me le rentrer dans la caboche par tous les moyens. Entièrement dévoués à leur mission éducative ils prenaient leur rôle à cœur. Après avoir expérimenté sur moi la méthode douce et constaté son peu d’efficacité, ils n’hésitèrent pas à me punir, quitte à me faire crouler sous les devoirs supplémentaires. À l’heure bénie de la récréation je demeurais en classe. Des camarades je percevais le joyeux brouhaha, les cris enjoués. Je devinais leurs jeux à leurs seules interpellations tandis que le grincement de la plume sur la feuille me tenait compagnie. Et le regard sévère du maître assis derrière son bureau… Non content d’agonir sous les punitions, bien souvent je les voyais doublées ! Cent lignes de « Désobéir » se transformaient en deux cents lignes pour avoir accepté de les écrire. Mes malheurs ne s’arrêtaient pas à la porte de l’école. Il suffisait à un maître d’inscrire au bas du bulletin mensuel : « Élève calme, discipliné », pour faire lever sur moi un orage parental d’une rare violence. Papa criait, jurait aux grands dieux ne pas savoir ce qu’il avait fait pour mériter un fils aussi docile, un fils aussi obéissant. Assise sur une chaise dans la cuisine, Maman pleurait en silence. Et ses reniflements pathétiques étaient pour moi pire que la plus sévère des corrections. À la suite de ces désastreux bulletins j’étais souvent puni. Des punitions d’un autre genre que celles de l’école. On ne m’infligeait pas de nouvelles pages d’écriture. J’étais privé de sortie, séquestré dans l’appartement familial. Alors je regardais les copains jouer en bas, dans la cour de la cité. Je les regardais se poursuivre à vélo, se lancer dans des parties de foot homériques, se chahuter, se bagarrer parfois pour mieux se réconcilier ensuite. Quand ils m’apercevaient derrière la fenêtre de ma chambre, ils me criaient de descendre jouer avec eux. La honte au front je leur faisais signe que je ne pouvais pas, que j’étais puni. J’étais un garçon docile, l’idée d’ouvrir ma fenêtre pour au moins leur parler, leur expliquer ce qui m’arrivait, ne me venait pas à l’esprit…
À l’école le premier de la classe était, à mes yeux du moins, le plus frondeur. Le premier de la classe était celui qui osait se tenir bien droit devant un enseignant pour lui asséner un non ferme, d’une voix qui ne tremblait pas. Le premier de la classe était celui qui soutenait le regard du maître sans ciller. Le premier de la classe était celui devant qui le maître finissait par baisser les yeux. J’étais loin, si loin de posséder une telle hardiesse. Si loin de maîtriser cette fronde. J’étais le dernier de la classe, le cancre qui désespérait ses professeurs et attristait ses parents. J’étais celui qui s’installait au premier rang, puis écoutait le cours avec attention, toujours prêt à lever le doigt pour répondre aux questions. J’étais celui qui apprenait ses leçons et prenait grand soin à ses devoirs. J’étais celui qui trop souvent amusait la galerie, faisait rire la classe entière à ses dépens. J’étais celui qui fanfaronnait en étant sage, discipliné, docile ; mais qui au fond souffrait en silence. J’étais celui dont une honte insidieuse envahissait peu à peu le cœur. J’étais celui qui pleurait en cachette, la nuit au fond de son lit. J’étais le cancre…
Les années d’école sont longues, tous les écoliers vous le diront. Mais pour un cancre comme moi, au sein d’une école qui mettait le principe de désobéissance au-dessus de tout autre, chaque journée était une éternité. Chaque journée était une éternité douloureuse. Chaque journée était remplie d’embûches, d’écueils que je parvenais si mal à éviter. Pire encore, je m’échouais sur chacun d’entre eux. Je ne loupais pas une occasion de me faire remarquer. Moi qui rêvais pourtant de me faire oublier ! Moi qui rêvais de me tenir dans le peloton de la classe, protégé par la masse de mes camarades ! Je ne désirais pas être dans les premiers pour attirer l’attention des maîtres sur moi. Non, je désirais juste me faire oublier. Et je me retrouvais dernier, attirant non seulement l’attention de mes maîtres mais aussi leurs colères, leurs moqueries, leurs punitions…
La cloche sonnant la fin des cours ne sonnait pas la fin de mon calvaire. Arrivé à la maison on me sommait de m’expliquer. À table ma docilité désespérante nourrissait les conversations. Mes parents étaient régulièrement convoqués à l’école. Ils en revenaient abattus par ce qu’ils apprenaient sur mon comportement. Les journées se suivaient, se ressemblaient. Je partais le matin à l’école, sans joie, la peur au ventre. Je revenais le soir à la maison, pas plus joyeux. Et je recommençais ainsi le lendemain.
Le calvaire dura ainsi de longues années. À chaque cycle le redoublement m’était proposé. À chaque cycle mes parents le refusaient. Bon gré, mal gré, je passais dans la classe supérieure, sans gloire ni trompette.
Ce n’est qu’en dernière année de communale qu’enfin j’eu le sursaut salvateur. Mon maître d’alors, sévère à l’extrême, venait de m’infliger une énième retenue pour avoir rendu mes devoirs une fois encore en temps et en heure. C’était tout un mercredi qu’il m’invitait à passer en sa compagnie, à conjuguer la phrase « Je dois désobéir, il en va de mon équilibre, il en va de mon avenir », à tous les temps possibles et imaginables. Que m’est-il arrivé ? Aujourd’hui encore, moi qui suis resté d’un naturel calme et d’un caractère doux, je me le demande. Je me souviens simplement que ce mercredi je devais rejoindre Auréliane, une petite fille de mon âge qui ne m’était pas indifférente. Naissance de l’amour ou ultime sursaut d’une âme maintes fois humiliée, je l’ignore ; toujours est-il que ce jour-là je me suis planté devant mon tortionnaire et me suis entendu lui répondre d’un ton ne souffrant aucune contradiction :
— Je ne viendrai pas ! Je ne viendrai plus jamais aux retenues que vous m’infligez ! Et, en retenue ou ailleurs, il est hors de question que je fasse cette punition ! Hors de question !
Pour la première fois de ma scolarité, je vis le visage de mon maître s’illuminer d’un large sourire. Pour un peu il m’aurait embrassé !
Le reste de ma vie d’étudiant se déroula sans incidents notoires. Après tout, éviter les punitions ou échapper aux retenues était assez simple : il suffisait de ne pas faire les pensums et ne pas se rendre aux retenues. En un mot comme en cent : il suffisait de désobéir…
©Pierre Mangin 2023
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Par Pierre M le 1 Mars 2020 à 08:31
— T’es pas cap !
— Pas cap, moi ! Tu rigoles !
— Alors vas-y si t’es cap. Fais-le !
— Je suis cap, mais j’ai pas envie.
C’était la phrase à ne pas dire. La phrase qui ranima aussitôt l’hilarité agressive de la bande de gamins. Nico, un cancre teigneux à la chevelure poisseuse qui aimait la bagarre et jouer les chefs de bande, Nico ne s’y trompa pas :
— Vous entendez ? Il se dégonfle, il est même pas cap, il a trop les chocottes !
Les autres, bien à l’abri derrière leur petit chef, rigolaient bêtement, trop contents de ne pas être le bouc émissaire de Nico.
La sagesse me soufflait de partir. De laisser la bande de gamins à leurs jeux débiles, d’ignorer Nico, le dernier de la classe, qui jouait les forts à bras pendant les récrés mais faisait moins le mariole quand le maître demandait à voir son cahier.
Bientôt un chœur cruel d’enfants entonnait à l’unisson un refrain moqueur à mon encontre : « Ô le dégonflé, il est même pas cap ! Ô le dégonflé, il est même pas cap ! »
Il ne faut pas croire ceux qui disent que les enfants sont innocence, candeur et pureté. En bande ils sont aussi abominables que les adultes. Si j’avais, à force de ruse et de discrétion, réussi depuis le début de l’année à me préserver des agissements de la bande à Nico, j’en étais aujourd’hui la cible. Je le savais, ils ne me lâcheraient pas, comme ils n’avaient pas lâché leurs précédentes victimes. Des gamins comme moi, qui ne demandaient rien à personne.
Seule l’intervention du maître pouvait me sauver. Un coup d’œil rapide dans la cour me fit comprendre que je n’avais rien à attendre de ce côté-là. Le maître était bien trop occupé à tourner autour de la nouvelle institutrice du cour préparatoire pour s’inquiéter du drame qui se jouait côté préau.
Je n’avais que deux solutions. Courir, vite, me jeter entre le maître et la nouvelle institutrice, dénoncer mes tortionnaires et rentrer en classe tête basse. J’imaginais déjà les coups bas qui ne manqueraient pas de m’accompagner jusqu’à la fin de l’année. Être un cafteur n’est jamais bien vu. Surtout par Nico et sa bande.
Restait la seconde solution. M’abaisser à la hauteur de leur bêtise. Feindre d’être avec eux, braver les interdits, risquer une punition et un passage dans le bureau du directeur, risquer même, suprême humiliation, un mot aux parents. Tout plutôt que subir la hargne imbécile de Nico et de ses esclaves aveugles et serviles.
— Ok, dis-je d’une voix forte.
Aussitôt le chœur cessa.
Nico me passa son chewing-gum qu’il avait mâchouillé consciencieusement depuis la cloche de neuf heures. C’était un peu dégoûtant d’avoir ça dans la main. Après m’être assuré que le maître était toujours aussi occupé avec la nouvelle institutrice, je pris le couloir qui menait aux classes.
Les petites abeilles ouvrieuses que nous étions étaient en récréation. Dans l’école un calme étrange régnait. Nulle voix, nul grincement de craie, nul bruit de chaise qu’on déplace, nul toussotement d’ennui ou d’embarras, nulle psalmodie de récitation ânonnée. Je glissais mes pas en silence dans le couloir désert. Il ne fallait pas alerter les autres maîtres qui étaient réunis à boire le café dans leur salle. Arrivé devant la porte de notre classe, je collais le chewing-gum derrière la poignée. Et ressortais le cœur battant.
Il était temps. La cloche annonçait la fin de la récré.
Bien sûr, en ouvrant la porte de la classe le maître s’est collé l’infâme chewing-gum dans la main.
Il était furieux.
Bien sûr il a exigé que le coupable se dénonce.
Bien sûr personne n’a moufté.
Bien sûr ses soupçons se sont portés sur Nico.
Qui a pris son air le plus innocent.
Bien sûr, Nico préférait faire ses bêtises par procuration.
Bien sûr le maître nous infligea une punition collective. Notre maître se faisait de la justice une idée curieuse.
Pendant une semaine nous fûmes privés de récréation.
Bien sûr, pendant une semaine le maître fut de très mauvaise humeur.
Lui aussi était privé de récréation. Il lui fallait nous surveiller…
©Pierre Mangin 2020
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Par Pierre M le 5 Février 2020 à 21:40
Quand venait l’heure de rendre les dictées, aucun de nous ne songeait à faire le pitre. Il faut dire que l’instant était solennel : le maître ne plaisantait pas avec l’orthographe. Il répétait à l’envi que l’apprentissage du français était la colonne vertébrale autour de laquelle s’articulaient toutes les autres matières. Alors, quand du haut de son estrade, il sortait de sa sacoche les copies, qu’il les tapotait pour en faire un jolis tas bien ordonné ; quand, les copies bien en main, il balayait la classe du regard, s’attardant une ou deux secondes sur chaque tête, plus d’un enfant retenait son souffle. Et quand enfin il descendait les deux marches de l’estrade pour commencer la distribution, dans les jeunes poitrines plus d’un cœur commençait de battre trop fort.
C’était un rituel. Le maître arpentait les allées et remettait à chacun d’entre nous sa copie. D’une voix forte il disait le nom de l’élève puis, après un petit temps de suspens, sa note. Suivait une série de commentaires, acerbes ou élogieux, dont toute la classe profitait. Les copies, il ne les rendait pas dans un ordre aléatoire. Pas davantage par ordre alphabétique. Non plus selon l’agencement de nos tables. Non, il commençait toujours pas les résultats les plus lamentables, ceux qui suscitaient sa colère, pour finir par les copies les plus avantageuses. Notre peur était d’être appelé dans les premiers et de subir son acrimonie.
Je garderai longtemps encore le souvenir d’une dictée mémorable, ainsi que tous les sentiments qui m’habitèrent alors que notre instituteur distribuait nos copies.
Comme à son habitude il ne se pressait pas. Il aimait faire durer le plaisir. Plaisir pour lui… Pour le premier appelé il prit sa voix sèche, plus cinglante qu’une gifle :
— Thomas : vingt sur vingt !
Thomas baissa les yeux vers son pupitre, honteux et craintif.
— Vingt sur vingt insista le maître. Pas une faute d’accord. Même les participes passés avec avoir. Il y avait des pièges pourtant… Et bien non. Tous justes ! Et je ne parle pas des conjugaisons. Pas un « s » oublié à la deuxième personne du singulier, pas un « t » à la troisième personne. Les accents, idem, les aigus à gauche les graves à droite. Jusqu’aux points sur les « i » et les « j ». Pas un ne manque à l’appel ! Résultat des courses vingt sur vingt. Le troisième vingt d’affilée. À croire que tu le fais exprès. Tu peux m’expliquer une telle note en dictée ? Ce n’est pourtant pas compliqué de faire des fautes, non ? Alors, qu’as-tu à répondre, Thomas ?
Thomas se garda de répondre. D’ailleurs, que pouvait-il dire ? Il avait rendu une copie digne de ces romans classiques que l’on trouve dans les bibliothèques. Il ne récoltait que ce qu’il méritait.
— Que vas-tu faire de ta vie avec des notes comme ça, tu peux me le dire ? s’escrimait le maître. Tu veux devenir académicien, c’est ça ? Alors continue ! Tu finiras par y arriver ! Mais je te préviens Thomas, immortel c’est pour les vieilles personnes. En attendant il va falloir te loger, manger, t’habiller. Et si tu crois que c’est avec des vingt en orthographe que tu vas y arriver, laisse-moi te dire que tu te mets le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate !
D’un geste méprisant le maître jeta la copie de Thomas sur son pupitre. J’ai eu le temps d’apercevoir le 20/20 infamant en lettres rouge, souligné trois fois.
Puis l’instituteur quitta Thomas et continua sa distribution.
— Léa, seize sur vingt. Les participes c’est ton dada à toi aussi. Pas une seule faute dans les accords. Tout juste si tu as daigné oublier un « s » au conditionnel. Tu essaies de battre Thomas ? Vous faites une compétition tous les deux ? À qui écrira le plus juste ? Si vous voulez perdre votre temps, libre à vous.
Enfin, arrivèrent les notes moyennes. Celles où l’on ne se fait pas remarquer quand on les obtient. Ni trop élevées pour craindre la colère du maître, ni trop basses pour recevoir ses louanges. À ce stade de la distribution nous respirions un peu mieux. Les bonnes notes tombées, ne restaient que des moyennes, des faibles et quelques très mauvaises. Nous ne risquions plus de nous faire gronder. Une réprimande tout au plus nous guettait si par malheur notre note se trouvait être un peu meilleure que celle de la dernière dictée.
— Simon, huit ! C’est bien Simon, tu es sur la bonne voie. J’ai longtemps cru que tu ne descendrais pas en dessous des douze. Continue comme ça, Simon ! Attention quand même aux adjectifs épithètes. Tâche d’oublier un peu qu’ils s’accordent en genre et en nombre avec le nom qu’ils accompagnent. Tu peux y arriver.
— Ethan, deux ! C’est bien Ethan, très bien. Si tu t’appliques je suis sûr que tu peux décrocher un zéro.
Le maître n’avait plus qu’une copie en main. La mienne. Mon cœur battait la chamade. Je pensais avoir bien raté ma dictée, mais pas à ce point tout de même. Et voilà que je caressais l’espoir d’avoir mon premier zéro de l’année. C’est mes parents qui allaient être contents ! Le maître se rapprocha à pas lents de ma place. Dans la classe on entendait une mouche voler. C’est Timéo qui l’avait capturée dans la cour de récré. Il avait dû ouvrir trop grand la boîte d’allumettes dans laquelle il la retenait prisonnière.
Enfin le maître s’arrêta devant moi et me tendit ma copie. Je n’osais regarder pour voir ma note.
— Chloé, zéro ! Bravo Chloé, je te félicite ! Ta copie regorge de fautes à toutes les lignes. Pas de majuscules en début de phrases, conjugaisons fantaisistes à souhait, orthographe aléatoire, accords insolites, consonnes doublées quand il ne le faut pas... Tout y est. J’ai même eu envie de te donner des points en dessous de zéro tellement tu es méritante. Mais l’inspecteur ne veut pas.
Zéro, j’avais zéro ! Quel bonheur ! Pour un peu je me serais mise à chanter !
— Tu viendras me voir à la fin du cours, Chloé. Je tiens à récompenser tes efforts. Je te donnerai un livre. Mais ne sois pas inquiète, il est écrit en langage Sms, tu verras, c’est très drôle et tu ne prendras aucune bonne habitude avec ce genre de lecture.
©Pierre Mangin 2020
(Première publication, Revue Le Traversier, 2015)
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