• Survivre en Milieu hostile

     

    Ce sont les circonstances qui ont rendu chien errant circonspect. Depuis trop longtemps personne ne sait son nom. Lui-même a fini par l'oublier. Depuis que son maître ; qu'il pensait fidèle, loyal et affectueux, ; l'a abandonné au fin fond d'une forêt sombre peuplée d'animaux redoutables, chien errant a appris la prudence. Une erreur d'appréciation dans sa situation peut se révéler dramatique. Chien errant est sage : il apprend de ses déboires et parvient ainsi à survivre en milieu hostile.

     Milieu hostile pour chien errant, c'est le milieu des hommes quand on est sans maître...

     

     Car il lui a bien fallu sortir de la forêt. En forêt, pour la nourriture, la concurrence était trop rude. Comment lutter contre rusé renard aux dents acérées, ou pire encore contre son cousin le loup si sûr de lui au milieu de sa horde ?

     

     Les hommes laissent traîner leurs poubelles remplies de restes. Certains jours il faut les disputer avec des chats faméliques et sournois. Parfois montrer les crocs suffit à les éloigner, au moins le temps d'arracher un os paré de lambris de viande ou un reste de pizza quatre fromages.

     

     Chien errant connaît quelques bonnes adresses dans la ville. Des arrières cours de restaurants, où, après le service, les poubelles débordent de bonne nourriture aux fumets délicats. D'autres chiens perdus s'y donnent rendez-vous, il arrive qu'ils soient quatre ou cinq à se partager les restes encore fumants des clients. Quelques grognements, quelques coups de dents hargneux de vieux errants irascibles viennent souvent gâcher la fête. Rien à voir avec la vie en forêt cependant, où il risquait la mort trois fois par jour.

     

     Les hommes, chien errant s'en méfie. Il les repère de loin. Il a appris en autodidacte à reconnaître les odeurs. Truffe en l'air il hume autour de lui par petites goulées rapides. Les effluves que le vent lui apporte il les analyse à la vitesse de l'éclair. Son nez n'est pas un nez. Son nez est un concentré de perfection. Ses millions de récepteurs olfactifs en alerte travaillent à plein régime. Il analyse, décortique, classe, mémorise et ressort les informations dont il a besoin à l'instant T. Petite senteur florale agrémentée d'une touche de jasmin : jeune femme en approche, chien errant est rassuré, les jeunes élégantes parfumées sont rarement dangereuses, le baromètre de danger est redescendu à ses plus bas niveaux. Relents de mauvaise bière, effluves de tabac froid, sueur acide et pieds mal lavés : alerte niveau 4 ! Supporter sort du bar des sportifs, l'humeur querelleuse, gare aux coups de tatanes qui pourraient bien pleuvoir. Sans raison. Odeurs de cuir, d'après rasage bon marché le tout dissimulant mal une foultitude d'exhalaisons canines et félines : alerte maximale, niveau écarlate ! Brigade municipale des animaux errants est de sortie. Avec eux pas de discussion possible, c'est le filet, l'habitacle empuanti du vieux Kangoo, et direction la SPA. Nourriture assurée, liberté refusée... Chien errant ne perd pas un instant. La nature lui a donné deux ressorts situés juste sous son postérieur. D'un bond prodigieux il les actionne, s'élance dans la direction opposée de la brigade, actionne ses membres antérieurs, les allonge au maximum de leurs capacités, tire sur ses tendons et ses muscles jusque leurs points de rupture, et se lance dans un galop fougueux, ventre à terre, oreilles collées en arrière, tout le corps affiné, resserré, aérodynamisé, pour minimiser au maximum la prise au vent. Ses poils qu'il laisse volontiers hirsutes sont eux aussi disciplinés, plaqués au corps pour laisser glisser l'air sans le retenir.

     

     Tout le temps de sa course ses narines frétillent. Sa truffe continue d'engranger des informations, elles défilent à toute vitesse dans le cerveau de chien errant. Dans sa situation, savoir prévoir le danger est aussi le commencement de la sagesse, alors ses récepteurs donnent de leur personne, tous autant qu'ils sont.

     

     Quand il juge suffisante la distance parcourue, chien errant s'arrête. Il n'est pas même essoufflé : la vie en milieu hostile demande une forme physique à toute épreuve. Les quatre pattes bien écartées, truffe levée, il met en action un second sens. Ses oreilles qu'il avait pendantes dans son errance, puis collées en arrière dans sa course, il les dresse bien hauts. À tour de rôle il casse la pointe de l'une d'entre elles afin que les sons se brisent sur ce repli et pénètrent directement dans l'oreille interne. Chien errant est doté de véritables radars portatifs, qui lui permettent de percevoir infrasons et ultrasons. Ceux que l'homme, animal incomplet, ne peut même pas imaginer. Cette haute performance auditive et olfactive lui donne un avantage sur ses poursuivants. Les fragrances de cuir et d'après rasage s'éloignent, au loin un diesel démarre, l'équipe doit rentrer à la base. Nul son suspect détecté, tout juste la farandole d'une famille de souris dans une maison tout en bas de la rue.

     

     Chien errant repart d'un pas paisible. Pour ce soir encore il a survécu en milieu hostile. Son plus gros boulot maintenant c'est de trouver un coin tranquille doté du confort minimum pour passer le reste de la nuit. Car chien errant a peut-être oublié son nom, mais il n'a rien oublié du confort de son habitat du temps du maître : il est resté gravé dans ses chairs...

     

      ©Pierre Mangin 2022

     

     

     

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