• L'Homme qui parlait à l'oreille des oiseaux

     

    C’était une rencontre improbable. Sur un banc, dans les jardins des Cordeliers. Je bayais aux corneilles, laissant mon esprit s’envoler. Grand, maigre, des traits anguleux, une chevelure de neige, un homme s’est assis à mes côtés.

     Il s’est penché vers moi, mystérieux :

     — Je parle aux oiseaux…

     Misère, j’étais tombé sur un type désireux de partager le vide de son existence.

     Siffle beau merle, pensai-je in petto !

     — C’est bien ça…

     — Vous doutez ?

     Susceptible en plus. Je tentai un

     — Mais non, mais non…

     ni très convaincu, ni très convaincant.

     — Écoutez !

     

    Et voilà que l’homme se met à chanter. Chanter ou siffler, je ne savais trop. Il enchaînait trilles, roucoulades, montées de gamme rapides, suivis de descentes en escalier, poussait de temps en temps de petites notes suraiguës avant de continuer dans une cascade de roulements de gorge. Il gonflait le jabot, tendait vers le ciel une bouche en cul de poule, je n’aurai pas été surpris de le voir lisser ses plumes.

     Quand il eut fini, je fus obligé d’admettre :

     — Vous possédez un joli talent d’imitateur.

     — Ma parole, vous avez une cervelle d’oiseau !

     Se tournant, il prononça cette phrase étrange :

     — Pardon mes très chers…

     

    C’est alors que je les aperçus. Six ou sept mésanges, alignées en rang d’oignon sur la plus basse branche d’un tilleul. Elles nous dévisageaient.

     Soudain elles se mirent à pépier. Des petits cris brefs, répétés. Elles semblaient parler toutes ensemble. Et n’être pas contentes…

     À côté de moi mon beau vieillard avait perdu toute tenue. Il se marrait, se bidonnait, se tordait de rire, et j’avais la désagréable impression que c’était à mes dépens.

     — Je ne devrais pas, mais elles sont trop drôles. Elles me disent que vous êtes comme une poule qui vient de trouver un œuf et que si votre ramage se rapporte à votre plumage alors il est urgent de s’enfoncer du duvet au fond des oreilles !

     

    Et voilà que les mésanges s’égayent en tous sens et qu’un corbeau plus noir que geai s’installe sur la branche.

     — Il croasse son étonnement, me traduisit le vieil homme. Pourquoi jouez-vous à être gai comme un pinson alors qu’on vous a coupé les ailes ?

     Des moineaux rejoignirent le corbeau. Ils étaient très remuants et pépiaient ce qui ressemblait à des invectives.

     Encore une fois, l’homme qui parlait aux oiseaux me traduisit :

     — Ils disent qu’on pourrait bien vous revêtir d’un toupet et d’une queue de pie vous aurez toujours l’air d’un butor mal léché… Désolé, les moineaux se montrent parfois irrévérencieux !

     

    C’est alors qu’un couple de pies rejoignit la nuée de moineaux. À n’en pas douter elles avaient entendu qu’on parlait d’elles.

     Selon leur habitude elles se mirent à jacasser. Je n’étais pas au bout de mes surprises. Les pies envolées, je trouvais mon acolyte bien embarrassé :

     — Je ne sais pas si je peux me permettre…

     — Au point où j’en suis, vous gênez pas !

     — Elles vous prennent pour un merle blanc… C’est vrai, vous êtes fier comme un paon, vous avez des yeux de hibou, vous êtes gras comme une caille, elles vous soupçonnent de manger comme un jeune coucou, tout ça ne fait pas de vous le phénix des hôtes de ce bois !

     — Des attaques sur le physique maintenant ! Bravo !

     — Ne soyez pas vexé, les oiseaux ne vous veulent aucun mal. Ils s’accordent pour dire qu’il vous en faudrait peu pour changer. Vous en mieux, ça vous tente ? Autorisez-vous l’émerveillement ! En écoutant chanter les oiseaux par exemple. Vous laisser porter par leur musique suffirait !

     Je baragouinai un vague :

     — Je vais y réfléchir.

     et repartis boitillant : mon œil de perdrix était douloureux.

     

    Promis, demain au réveil je n’allume pas la radio. Je me laisse bercer par le chant des oiseaux.

     Il paraît qu’ils donnent un concert chaque matin…

     

    ©Pierre Mangin 2024

     

     

    « Moi, les Récréations, j'aime pas tellementMoi, les animaux, j'aime pas beaucoup »
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