• La Malédiction du rossignol Episode 2

     

    La Malédiction du rossignol Episode 2

    (Image : kordi_vahle de Pixabay)

     

    Pour commencer Thibault décida d’aller décrocher la Lune. Sans hésiter il se mit en marche en direction de la montagne. D’un pas rapide il en gravit les contreforts puis il entreprit d’escalader le Pic du Loup, son plus haut sommet. La marche fut longue, laborieuse. Sous ses pieds les pierres roulaient, des buissons d’épines griffaient ses mollets. Pendant son ascension la nuit avait recouvert de son voile le moindre recoin du paysage. Ce qui, vous vous en doutez, arrangeait les affaires de Thibault mais rendait sa marche plus ardue. Alors qu’il était arrivé à mi-chemin, la Lune se leva. Fière, majestueuse, elle montait dans le ciel étoilé et n’allait pas tarder à être au-dessus du Pic du Loup. À cette vue Thibault sentit ses forces décupler. Il continua d’escalader, mais la marche devenait à chaque pas plus difficile, plus dangereuse. Parfois il devait se mettre à quatre pattes pour ne pas tomber. Empli d’une fureur de vaincre, Thibault ne lâcha rien. Pourtant, il vit le jour se lever avant d’atteindre le sommet.

     

    Un cadeau extraordinaire demande des efforts extraordinaires, songea-t-il. Et sans se décourager il continua son ascension pendant tout le jour. Quand la seconde nuit l’environna de ses ténèbres, la végétation avait disparu. Les roches étaient nues, sèches, et Thibault fut soulagé de sentir sur lui la fraîcheur de la nuit. Il atteignit le sommet de la montagne à l’exact moment où la lune semblait l’y l’attendre. Elle était là, au-dessus de lui, à portée de main, Thibault n’en doutait pas.

     

    Hélas, il eut beau tendre les bras, s’élancer, sauter de toute la force de ses jambes flageolantes, elle était beaucoup trop haut. Après une heure d’efforts désespérés, il dut se rendre à l’évidence : il ne parviendrait jamais à la décrocher.

     

    D’humeur sombre, il redescendit.

     

     

     

    Les gens qui aiment ne restent pas désespérés. Thibault accepta son échec et décida d’aller chercher le Soleil. Déposer au pied de sa belle l’astre du jour en guise de présent serait une preuve d’amour hors du commun. Ça tombait bien. Les premières lueurs du jour commençaient à timidement colorer le ciel.

     

    Sans tarder il reprit sa route. Il marcha en direction de l’Est. Il marcha, marcha, marcha, se nourrissant au passage de quelques fruits volés dans des vergers bordant son chemin. Il marcha, marcha, marcha, traversa des plaines, des bourgs où les villageois regardèrent ce curieux voyageur sans bagages. Il marcha, marcha, marcha, à la poursuite du soleil.

     

    Thibault le voyait bien. Plus il progressait, plus le soleil montait dans le ciel. Inquiet, il songea que le Soleil allait lui jouer le coup de la lune, qu’il serait bien trop haut pour qu’il puisse l’attraper. Alors que le désespoir l’accablait, il vit le Soleil commencer une lente redescente. Thibault reprit sa marche. Il marcha, marcha, marcha, en direction de l’Ouest. Il marcha, marcha, marcha, traversa des plaines, des bourgs où les villageois regardèrent ce curieux voyageur sans bagages retourner d’où il venait. Il marcha, marcha, marcha, à la poursuite du Soleil.

     

    Le soir, impuissant, il vit le soleil disparaître derrière la montagne… Thibault était revenu à son point de départ…

     

    Il s’assit sur un gros rocher moussu et réfléchit. Le soleil est un astre d’habitude, se dit-il. Chaque soir il disparaît à l’Ouest, chaque matin il se lève à l’Est. C’est au petit matin, alors qu’il se lève, qu’il est le plus bas. Je vais aller le cueillir à son réveil.

     

    Sans écouter sa fatigue, sans écouter ses jambes fourbues, sans écouter ses pieds douloureux, Thibault reprit sa marche. Il marcha, marcha, marcha, en direction de l’Est. Il marcha, marcha, marcha, traversa des plaines, des bourgs endormis où nul villageois ne vit revenir ce curieux voyageur sans bagages. Il marcha, marcha, marcha, à la poursuite du Soleil.

     

    À l’aube du premier jour il se trouva au bord d’un étang. Il prit quelques minutes de repos pour regarder le Soleil se lever, tout là-bas, de l’autre côté de l’étang. Il le regarda débuter sa lente montée vers le zénith. Il souriait. Le soleil était malin, mais lui aussi l’était !

     

    Et il reprit sa marche, ne s’inquiétant pas de voir l’astre changer de direction pour s’éloigner dans son dos. Il reprit sa marche en ne s’accordant que quelques heures de repos aux heures les plus chaudes de la journée.

     

    L’aube du troisième jour trouva Thibault au cœur d’une sombre forêt de pins sylvestre. Il ne vit pas le lever du Soleil, mais simplement les sous-bois s’animer d’une clarté nouvelle. Qu’importe, il marcha de nouveau vers l’Est. Il marcha, marcha, marcha à la poursuite du Soleil. Sa marche dura quatre jours et trois nuits. Le quatrième soir, ruisselant d’épuisement, il arriva au bout du monde. Oui, au bout du monde ! Du moins est-ce là qu’il crut arriver en voyant s’étaler devant ses yeux ébahis une mer infinie.

     

    Le Soleil est comme moi, se dit Thibault, il ne peut aller plus loin ! Demain il se lèvera comme à son habitude, je n’aurais qu’à le cueillir pour l’offrir à ma bien aimée Bertille. Cette nuit, bercé par le ressac et l’espoir de voir la fin de sa quête, Thibault dormit fort bien et récupéra quelques-unes de ses forces mises à mal par son long périple.

     

    Au petit matin il quitta ses chausses, remonta bien haut ses braies, et pénétra dans l’eau fraîche de la mer. Quand le soleil se lèverait il n’aurait plus qu’à tendre les bras pour enfin l’attraper.

     

    S’il est vrai que le Soleil se leva, il se leva si loin, plus loin encore que la ligne d’horizon, que Thibault eut beau tendre les bras, il ne réussit pas à seulement l’effleurer. En revanche il réussit à tomber de tout son long dans l’eau dont il ressortit aussitôt, toussant, crachant et pestant contre le Soleil.

     

    — Ah tu veux me jouer des tours ! Attends, je viens te chercher, je te donnerai en présent à ma belle, tes reculades n’y changeront rien !

     

    Dégoulinant d’eau et de colère il marcha le long de la mer jusqu’à ce qu’il découvre, solidement amarré à un poteau de bois, un petit bateau de pêcheur. Sans un instant d’hésitation il brisa les amarres, poussa l’embarcation dans l’eau et se jeta dedans.

     

    Et il navigua, navigua, navigua en direction de l’Est, à la poursuite du Soleil. Il souffrit de la chaleur, sa peau se couvrait de brûlures, mais il n’abandonna pas. À l’aube du premier matin le soleil levant lui parut toujours aussi éloigné. Alors il navigua, navigua, navigua, toujours plus loin en direction de l’Est, toujours plus loin à la poursuite du Soleil.

     

    Il navigua ainsi pendant trois jours et trois nuits. Son bateau n’était pas conçu pour la haute mer. C’était un frêle esquif, tout juste une barque munie d’une voile de toile grossière, dont les pêcheurs se servent pour caboter non loin des côtes. Thibault subit des tempêtes, essuya des grains, affronta des monstres marins qui voulaient l’attirer dans les abysses, et on ne sait par quel miracle il survécut au milieu de ces flots furieux sans être englouti avec sa coquille de noix. C’est une goélette du roi qui le découvrit, au matin du quatrième jour, brûlé, déshydraté, affamé, vivant encore mais si peu.

     

    Quinze jours plus tard les marins du roi le débarquèrent à La Rochelle. Celui qui s’était improvisé matelot, inconscient des dangers de la navigation, était ragaillardi par les deux semaines de soins prodigués par l’équipage de la goélette.

     

    ©Pierre Mangin 2023

     

     

     

     

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