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La Victime et l'oppresseur
Il maîtrisait à la perfection l’art de la petite phrase assassine. Celle qui fait douter, rabaisse, humilie.
Son visage affichait en permanence un sourire suffisant. Un sourire qui disait à lui seul son assurance. Son pouvoir sur ses victimes.
Sournois, il aimait à siffler ses phrases en public, jamais il ne les tonitruait, seule sa victime les recevait. Elles étaient des flèches empoisonnées, s’enfonçaient dans la chair et l’âme et commençaient leur œuvre destructrice. Sans bruit. Lentement. Sournoisement. À petit feu.
Sa victime comprenant l’entreprise de destruction que son bourreau avait lancé sur lui, commença à se rebiffer. Elle voulait vivre, survivre pour le moins, redresser la tête. Dérisoires tentatives. Le sourire assuré du bourreau contre les balbutiements de sa victime. Le calme de l’un contre la nervosité de l’autre. Les dénégations effarouchées du tortionnaire contre les accusations incompréhensibles du pauvre hère.
Dans la nasse, condamné à s’étioler, à disparaître sous les attaques sournoises du tourmenteur, le persécuté se rebiffa.
Il imagina un plan.
Ce jour là il arriva en retard. C’était volontaire, il avait tout anticipé jusque dans les moindres détails. Il savait que pour gagner une bataille l’effet de surprise était un atout puissant. Il savait que pour gagner une guerre il fallait lancer toutes ses forces sans crier gare.
Alors il arriva en retard. Que toutes et tous soient déjà installés. Il entra dans la grande salle, sans frapper. Enfonça les frontières sans déclaration préalable.
À sa vue le silence se fit.
Alors il regarda l’oppresseur.
Et il dit. Il dit les mois d’oppression, les petites piques, les humiliations, la volonté de rabaisser, de piétiner, d’humilier. Une force nouvelle l’habitait, une force que rien ni personne ne pourrait arrêter. Il parla longtemps, d’une voix forte, assurée. Il tremblait au-dedans de lui mais n’en laissa rien paraître. Il était venu pour vaincre, il vaincrait. La défaite ne faisait pas partie de ses options.
Ô bien sûr, on essaya de l’arrêter. L’effet de surprise passé, l’ennemi tenta de se réorganiser. Le bourreau possédait des soutiens. Mais l’opprimé balaya la résistance, l’éparpilla, l’étrilla. Les digues étaient ouvertes rien ne pouvait dompter le torrent indocile. Il se savait capable de tout si on tentait de l’arrêter, de le faire taire. De tout et même du pire.
Peut-être le bourreau le comprit-il. Il ne dit rien, se contenta de baisser la tête, de courber l’échine pour recevoir la grêle qui s’abattait sur lui.
Tout au contraire l’humilié se redressait. Retrouvait sa stature.
Il dit tout, sans rien omettre.
Et il quitta la salle, libéré enfin, redressé.
Il quitta la salle sans même claquer la porte.
©Pierre Mangin 2024
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