• Mon cher Paul

     

    Mon cher Paul

    (Image : Gerd Altman de Pixabay)

    Mon cher Paul,

    À l’instant de commencer cette lettre, mes doigts se mettent à trembler, ma respiration se fait hésitante, mon cœur bat un tempo que je ne lui connaissais pas…

     L’appréhension, la peur, ma propre audace… Car après tout, qui suis-je pour m’autoriser cette missive. Un lecteur, un admirateur, un fan pour utiliser un anglicisme ? Rien de tout ça, et un peu de tout ça…

     Un lecteur, il s’agit là d’une évidence. Un lecteur et même, je l’avoue, un relecteur. Ils sont rares les livres que je prends plaisir à relire. Quelques auteurs que je mets au-dessus des autres. Marcel Aymé, Louis Ferdinand Céline, Victor Hugo pour son formidable « Les Travailleurs de la mer », Haruki Murakami (Haruki Murakami jouit d’un statut particulier : à peine ai-je terminé un de ses livres que je sais que le vais le relire, c’est comme une nécessité), Jonathan Coe, John Fante, Fred Vargas… Cette liste serait incomplète si je n’y rajoutais pas… Vous-même, Paul Auster… Et tant pis si j’égratigne votre modestie que je sens poindre dans chacune de vos lignes.

     Le premier livre que j’ai lu de vous, c’est « Tombouctou ». Livre lu et relu… Comme j’aime votre personnage, Mister Bone, chien philosophe à la noblesse accrochée à chacun de ses poils. Dois-je l’avouer ? J’ai pleuré la première fois que j’ai lu Tombouctou… Bon, d’accord, les suivantes aussi ! Impossible de ne pas regarder son chien différemment après vous avoir lu ! Il en dit tant sur l’abandon, la séparation, la mort ce Mister Bone.

     Un autre de vos livres qui m’habite particulièrement, c’est « L’Invention de la solitude ». Quel boum dans ma tête ai-je ressenti en en tournant les pages ! Ô comme j’aimerai une fois seulement, écrire des lignes aussi puissantes sur mon propre père… Que dire de « Mr. Vertigo » ? Quel destin que celui du jeune Walt qui apprend à voler en compagnie de l’impitoyable Yehudi… J’en frémis encore…

     4321 je l’ai acheté de longs mois avant de le lire. Mille deux cents pages écrites serrées, l’abord est impressionnant. Je l’ai lu pendant le second confinement, le moment me paraissait parfait. Il l’était ! Dès l’instant où je l’ai ouvert, je ne l’ai plus lâché. Et en le refermant, la dernière page lue, je savais qu’un jour je le relirai. Quels destins que ceux d’Archie ! Et quelle trouvaille d’imaginer justement quatre destins à votre personnage. Quatre destins façonnés par les hasards de la vie, les rencontres, les choix… Magistral. Tout simplement magistral !

     Je pourrai parler ainsi de tous vos livres, pas un seul ne m’est tombé des mains. Vous lire c’est prendre la pleine conscience de son humanité si imparfaite et si exceptionnelle. À chaque fois, c’est une découverte, un voyage, une plongée dans les méandres de l’âme humaine. Et, je vais vous faire une confidence, en refermant un de vos livres, je me fais toujours la réflexion que j’aurais aimé l’écrire !

     Car je taquine la plume, ou plutôt mon clavier, mon écriture manuscrite est d’une calligraphie si détestable que j’ai parfois du mal à me relire. J’ai lu quelque part (mais où ? La mémoire me fait défaut) que pendant dix ans vous avez accumulé les lettres de refus d’éditeurs à qui vous proposiez vos manuscrits. Je m’amuse à imaginer la déconfiture de ceux qui vous ont refusé ! Certains responsables de comité de lecture ont peut-être été contraints de chercher un autre job !

     Ces dix années de refus nous font un point commun. Je possède moi aussi une jolie collection de lettres de refus (les ai-je seulement conservé ?) « Après un examen attentif nous avons décidé de ne pas… Nous publions peu… Malgré ses indéniables qualités, votre roman n’entre pas… » J’ai aussi quelques courriers d’éditeurs qui se sont fendus d’une petite note personnelle, d’un conseil, d’un encouragement. Ces courriers sont précieux, parce que rares !

     Il y a longtemps que je ne cours plus après les éditeurs. Cela m’ennuie, je suis un incorrigible flemmard dans ce domaine. D’autant que finalement, l'éditeur qui a publié mon premier recueil de nouvelles, je ne lui avais rien adressé !

     Et puis j’ai eu cette chance extraordinaire de trouver un petit atelier d’écriture, dans ma ville. Petit par le nombre de participants, petit par l’intimité bienveillante qui y règne, mais immense par la générosité de celui qui l’anime, immense par la bonne humeur joyeuse de ses membres, immense par tous les textes échangés, lus, relus, commentés.

     Ecrit-on pour être lu ? Quand j’ai commencé, j’écrivais dans le plus grand secret. Le sentiment bizarre de pratiquer une activité quasi honteuse m’environnait ! Mais si je me scrute d’un regard honnête, je crois bien qu’écrire et être lu vont de pair. Que ce soit par quelques personnes de confiance ou des milliers de lecteurs anonymes ne change pas véritablement la donne je pense. Bien sûr, il y a le cas du journal intime. Intime pose parfaitement le statut de cet écrit. Celui-ci n’est pas fait pour être lu. Que ferai-je du mien quand je sentirai s’échapper mes forces ? Il se trouve que je n’imprime pas mon journal, je le garde sur l’ordinateur. Ce serait simple : une petite pression du doigt sur la touche idoine et zou, effacé le journal, disparu, aux oubliettes. Pourtant je sais que je ne le ferai pas. Pour quelle raison ? C’est assez flou dans ma tête. Peut-être parce que ma mère, les quatre ou cinq dernières années de sa vie, à noté dans des carnets ses impressions, ses joies, ses tristesses. Je suis l’enfant qui a récupéré ses carnets et j’aime à m’y plonger de temps à autres, une manière comme une autre de convoquer les souvenirs, de passer un instant avec un être cher disparu.

     Ce que j’admire chez vous, c’est que vous n’avez jamais abandonné vos rêves d’enfant. A douze ans vous décidez de devenir écrivain. Devenu adulte, malgré dix années de refus, d’humiliation, de vaches maigres, vous ne lâchez rien. Vous vous donnez les moyens d’accomplir votre rêve J’ajouterai pour le plus grand bonheur de vos lecteurs. Votre détermination se lit dans vos traits, il suffit de vous regarder pour la comprendre.

     Est-il bien raisonnable de vous écrire cette lettre ? Nous ne nous connaissons pas, nous n’avons jamais eu la joie de nous rencontrer. Peut-être pensez-vous cet homme n’a t-il pas des amis à qui confier ses états d’âme ? Il n’est pas tout à fait vrai de dire que nous ne nous connaissons pas. Pas davantage que nous ne nous sommes jamais rencontrés. La lecture de votre œuvre (car oui, vous ne vous contentez pas d’écrire des romans, vous bâtissez une œuvre), crée entre nous une intimité que jalouserait bien des amis de longue date. Depuis mon enfance les livres sont mes amis (ce qui n’empêche pas les amitiés de chair, je n’ai pas l’amitié exclusive !), et certains auteurs, dont vous faites partie, sont pour moi bien davantage qu’un simple nom sur une couverture.

     D’ailleurs ce n’est pas la première fois que je me confie à un auteur. Ainsi j’ai écrit une lettre à Jules Verne, qui a enchanté mon enfance ; à Georges Simenon, écrivain prolixe s’il en est ; à Seï Shônagon (j’ignore si elle m’a lu, j’avais oublié de mettre mon adresse sur l’enveloppe.) Avec tous ces grands, j’ai poussé la familiarité jusqu’au tutoiement. Je me rends compte qu’avec vous, le vouvoiement s’est imposé comme une évidence… M’adresser à vous c’est me sentir si petit devant l’Annapurna ou les neiges éternelles du Kilimandjaro… Ce n’est pas une distance que je voudrais instaurer entre vous et moi, loin de moi cette idée, c’est une émotion qui m’étreint, une timidité qui remonte de toutes mes entrailles au moment de vous écrire, c’est une façon de vous témoigner tout les respect que j’ai de vous, de votre personne comme de votre œuvre.

     Alors oui, j’ai pris la liberté de vous écrire, car, depuis des années, vous occupez une place d’importance dans ma vie. Vos récits teintés d’autobiographie m’aident à réfléchir sur le sens de la mienne, ce n’est pas rien ça ! Et puis, après tout, écrire, n’est-ce pas comme voyager ? L’important n’est pas le but, l’essentiel est dans le voyage. Dans ces instants hors des lieux, hors du temps, hors du quotidien répétitif. Alors qu’importe si vous ne lisez jamais cette lettre, l’important était que je l’écrive…

     Je vous laisse, mon cher Paul (vous permettez que je vous appelle ainsi ? Il me semble que mon cher Paul efface un peu de la distance que créé le vous.) Je vais continuer de guetter les parutions, pour ne surtout pas manquer votre prochain livre !

      Bien à vous,

      Pierre

     ©Pierre Mangin 2021

     

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