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Super Horlogeman
« Ô temps suspends ton vol ! », déclamait Alphonse de Lamartine.
Et si ? Et si quelque entité supérieure me dotait de ce pouvoir, de ce super pouvoir, celui de suspendre le temps ? Alors, vêtu d’une longue cape imprimée d’un chronographe à mille cadrans, je me transformerais en Horlogeman, le super héros capable de commander au temps.
Bien sûr, je volerais, c’est bien le moindre pour un super héros. Il me suffirait de tendre le bras pour partir telle une fusée vers ma destination. Quel plaisir ce serait de m’affranchir des contraintes des transports, de me hisser au-dessus des embouteillages, des virages dangereux et autres ronds-points mal balancés ; de me déplacer sans endolorir mes muscles par de longues heures de marche. Quand je ne serais pas en mission je m’autoriserai à planer, à monter si haut dans le ciel que j’admirerais le lever du soleil bien avant tout le monde. J’accompagnerais les grues dans leur vol millénaire, trompetterais joyeusement avec elles, puis redescendrais vers mes frères humains : je suis un super héros, le monde compte sur moi.
Un enfant chute du septième étage ! Pas de panique, Super Horlogeman veille ! Plus rapide que l’éclair je serais sur place, et là, sortant d’un geste ample ma montre gousset, je suspendrais le temps. Et l’enfant léviterait entre le sixième et le cinquième étage en attendant l’arrivée des secours. Qui n’auraient même plus besoin de se presser ! L’enfant entre les bras puissants du pompier sur la grande échelle, je ressortirais à nouveau ma montre gousset et rendrais sa liberté au temps après avoir déposé un rapide baiser sur le front de la fillette ou du garçonnet. Querelle qui va mal tourner, départ de feu dans la garrigue, vague scélérate, tremblement de terre… Super Horlogeman est là, les querelleurs retrouvent tête froide, les services incendie arrosent copieusement ce qui n’est qu’un feu de broussailles balbutiant, le capitaine et son équipage pilotent le navire jusqu’au port, citadins et villageois déménagent en toute quiétude avant l’arrivée de la grande secousse.
Parfois il m’arriverait d’être facétieux. Un super héros cultive son sens de l’humour, c’est bien naturel. Et je sortirais ma montre gousset à l’exact moment où les amants vont s’embrasser pour la première fois, prolongeant leur attente délicieuse jusqu’à l’épuisement.
Quand on est doté d’un super pouvoir il est tentant (oui, même les supers héros sont tentés…), il est tentant disais-je de s’en servir pour soi. Alors je m’affranchirais des heures les plus sombres de mon existence, les ferais disparaître dans des failles dont elles ne reviendraient plus. Alors je ralentirais les heures lumineuses, les prolongerais pour en déguster toute leur saveur. Le temps de Super Horlogeman serait élastique, mouvant, fluctuant.
Jusqu’au jour où je m’apercevrai qu’il est déjà ainsi le temps, élastique, mouvant, fluctuant, incertain… Alors je remiserais ma cape imprimée d’un chronographe à mille cadrans au musée des Super Héros et redeviendrais celui que je n’ai jamais cessé d’être…
©Pierre Mangin 2023
Tags : temps, horloge super-héros, nouvelle
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