• Dimanche 26 Juin aura lieu le premier salon du livre de Valençay, à la Halle au blé.

    J'y serai au stand des Editions La Bouinotte...

     

     

     

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  •  L'Homme ordinaire

     C'était un homme ordinaire comme il en existe tant sur la Terre. Il n'était affligé d'aucune difformité qui l'eut mis à part de ses semblables, son caractère ne présentait aucune aberration qui l'eut mis au banc de la société. Un homme ordinaire comme il en existe tant sur la Terre...

    Il portait toujours un sac sur son dos. Jamais il ne s'en séparait. Jamais il ne le posait. Le jour il marchait avec. Quand venait l'heure du repas il ne s'en délestait pas pour manger plus à son aise. La nuit il ne le déposait pas au pied de son lit comme le font ordinairement les voyageurs. Il dormait avec, malgré tout l'inconfort que cela suppose.

    C'était un homme ordinaire comme il en existe tant sur la Terre...

    Ne pas se séparer de son sac, il ne l'avait pas choisi. C'était ainsi. Il ne se posait pas la question. Il n'imaginait pas qu'il pourrait se sentir plus léger sans le poids du sac sur ses épaules.

    Car c'était bien là la difficulté. Son sac, léger comme un vent de printemps au début de sa vie, s'était alourdi au fil des ans. Il s'était alourdi sans qu'il s'en aperçoive. Quelques grammes un jour, une demi livre une autre semaine, cinq cents grammes par ci par là.

    Au fil des ans son sac a accumulé des kilos et encore des kilos.

    Un jour, son sac devint si lourd qu'il ralentit la marche de l'homme.

    C'était un homme ordinaire. Je suis fatigué pensa t-il, c'est pour cette raison que mon pas se ralentit.

    Le sac, lui, ne pensait pas. Il continuait de grossir, de s'alourdir, de peser de plus en plus sur les épaules de l'homme.

    Le sac ne pensait pas. Il se chargeait de toutes les mauvaises rencontres, de toutes les moqueries, de toutes les humiliations, de toutes les trahisons, de toutes les vexations. Elles sont si nombreuses dans la vie d'un homme ordinaire.

    Un jour le sac fut si pesant pour ses épaules que l'homme tomba malade. Une maladie qui ne disait pas son nom. Le poids de l'homme qui fondait lentement, alors que le sac cultivait son embonpoint et le terrassait chaque jour un peu plus de sa lourdeur.

    Vint le jour où l'homme eut du mal à avancer. C'était un homme ordinaire, il était si fatigué, son sac était si lourd.

    Alors il s’assit à une table. Devant lui il avait posé des feuilles et un crayon.

    Il se mit à écrire. Un mot après l'autre, une phrase après l'autre. Il savait la force des mots, la puissance de l'écriture.

    Il se mit à écrire. Il écrivit les mauvaises rencontres, les humiliations, les trahisons, les coups bas, les coups fourrés. Il se mit à écrire de plus en plus vite. Il noircissait les feuilles les unes après les autres. Les mauvaises personnes il en fit des personnages. Lui qui peinait à avancer s'était transformé par la puissance des mots en démiurge tout puissant. Il s'arrogeait le droit de vie ou de mort sur tous ces personnages. Sous sa plume les méchants pouvaient succomber, tomber dans des gouffres, passer sous des bus, manger des fricassées d'amanites phalloïdes.

    Mais c'était un homme ordinaire, pas un autocrate assoiffé de pouvoir et de vengeance. Alors, les mauvaises rencontres il préféra en faire des personnages ridicules d'autosuffisance et de fatuité, des vaniteux infatués d'eux-mêmes... Ce qu'ils étaient au fond.

    Et au milieu des crissements du crayon sur les feuilles on pouvait entendre l'homme que ses propres mots amusaient se mettre à pouffer.

    Plus il écrivait plus le sac sur ses épaules devenait léger. Il devint si léger que l'homme oublia qu'il le portait depuis si longtemps. Au fut à mesure que les pages se remplissaient, le sac se dégonflait. En tendant l'oreille on pouvait entendre le chuintement des ruminations percées, et aussi les sifflements aigus des ressentiments qui se dégonflaient.

    Après avoir écrit écrit écrit l'homme se mit à rire rire rire.

    Il prit les feuillets sur la table, les jeta au vent. Les feuillets devinrent oiseaux multicolores. Ils se posèrent sur les branches d'un grand chêne pour composer la plus délicieuse des symphonies. L'homme reprit sa marche le cœur léger, l'esprit apaisé.

    Au pied de sa chaise gisait un sac aussi vide qu'un ballon de baudruche percé.

    C'était un homme ordinaire comme il en existe tant sur la Terre...

     

    ©Pierre Mangin 2022

     

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