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     Il est communément admis que le rossignol est l’oiseau de l’amour, que s’il chante la nuit, c’est pour mieux bercer les amoureux qui trouvent l’intimité de la nuit propice aux embrassades et autres roucoulades. Ce que l’on sait moins, c’est que l’oiseau n’a pas toujours égayé la nuit de ses trilles romantiques. Rien d’ailleurs ne le prédestinait à ces aubades nocturnes. Ne lui racontez pas ce que je vais vous révéler : le rossignol n’apprécie guère qu’on lui rappelle ce qui, au fond, est un mauvais souvenir de sa vie d’oiseau…

     

     

     C’était il y a longtemps, très longtemps. Au temps ou les voitures étaient tirées par des chevaux, au temps où les paysans labouraient leurs champs avec l’aide des bœufs… au temps où les galants ne pouvaient convoquer une armée d’émoticones pour palier la pauvreté de leur langage.

     Thibault était un jeune homme de figure agréable, aux manières élégantes, affligé d’un verbe maladroit. Fils d’un marchand de tissus, plus d’une demoiselle le regardaient en minaudant.

     Alors que nombre de ses camarades se vantaient des filles troussées à l’occasion des fêtes de village ou des grandes foires de printemps, Thibault n’avait aucune aventure de ce genre à raconter. Son cœur ne battait que pour Bertille, la fille d’un riche maquignon qui habitait en lisière de la forêt des Trois Fouineaux. Dix fois, cent fois, Thibault s’était dit, c’est aujourd’hui, aujourd’hui que j’annonce à Bertille combien je l’aime. C’est aujourd’hui que je lui avoue tout ce que mon cœur ressent pour elle, tout ce que mon âme espère. Dix fois, cent fois, Thibault essaya. Dix fois, cent fois Thibault renonça, incapable d’aligner trois mots cohérents de suite devant Bertille.

     Elle qui trouvait Thibault à son goût pleurait souvent en secret, se demandant si celui qu’elle aimait n’était pas idiot…

     

     

     Un jour que Thibault traversait la forêt pour se rendre chez Bertille et tenter une énième fois de lui déclarer sa flamme, il tomba nez à nez avec un rossignol vocalisant sur la plus basse branche d’un chêne.

     Car oui, à l’époque dont je vous parle, le rossignol ne chantait pas la nuit, mais le jour ! La nuit il faisait comme bon nombre d’oiseaux, il dormait et il ne lui serait jamais venu l’idée de chanter !

     

     

     — Ah rossignol ! s’écria Thibault, tu as le cœur à chanter, moi je ne l’ai pas.

     Le rossignol qui s’apprêtait à tenter une roulade en si bémol, arrêta son exercice.

     — Hé bien ! que t’arrive t-il donc ?

     — Hélas, je suis amoureux…

     

     

     Le rossignol effectua une petite montée de gamme très rapide.

     

     

     — Tu es amoureux ! Mais cela devrait au contraire te donner l’envie de chanter. On dit même que cela donne des ailes, en suivant l’élan de ton cœur tu pourrais devenir aussi léger que moi !

     — Hélas, trois fois hélas. Je suis mortifié… Je ne sais comment faire, je ne sais comment on aime… Je ne sais même pas comment exprimer mon amour…

     

     

     Le rossignol prit le temps de la réflexion.

     

     

     — Veux-tu que je t’apprenne à aimer ?

     

     

     À ces mots le cœur de Thibault se gonfla d’espoir.

     

     

     — Tu ferais ça pour moi ? Merci rossignol, merci mille fois !

     — Aimer n’est pas bien difficile. Pour commencer il faut aller voir la belle souvent, et lui dire la belle je serai votre amant.

     — Chaque jour je rends visite à Bertille… Pour ce qui est de lui parler, misère, je n’y arrive pas ! Et c’est là tout mon drame.

     — Ce n’est pas bien grave non plus. Si tu ne peux lui parler, alors montre-lui ta flamme avec des cadeaux. Les belles aiment les cadeaux.

     — Ça c’est une bonne idée ! se réjouit Thibault. Mais quels cadeaux ? Elle est la fille du plus riche maquignon du canton, elle a tout ce qu’il faut. Oh, je sais ! Mon père possède les plus beaux tissus de tout le pays. Je vais lui offrir la plus magnifique pièce de soie dans laquelle elle pourra se tailler des robes que ne renierait pas la plus exigeante des princesses !

     — Tu n’y es pas mon ami, tu n’y es pas du tout. N’importe quel galant pourrait lui offrir des tissus, des foulards et toutes sortes de colifichets. Non, si tu veux être de ta belle aimé en retour, tu dois te distinguer, lui montrer que tu es unique en lui offrant le plus extraordinaire des présents. Tiens, j’ai une idée ! Apporte-lui la Lune, le Soleil à la main, et elle t’aimera comme jamais une belle n’a aimé un galant !

     

     

    Sans perdre un instant, Thibault se mit en quête de la Lune et du Soleil…

     

    ©Pierre Mangin 2023

     

     

     

     

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  • Vendredi 21 juillet, de 17h30 à 19h30, je serai aux Estivales de Saint-Christophe en Boucherie pour dédicacer "Mortelle Envolée"...

     

     

     

     

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  • Choses qui font battre le cœur

     

    Des moineaux qui nourrissent leurs petits.

    Passer devant un endroit où l'on fait jouer de petits enfants.

    Se coucher seule dans une chambre délicieusement parfumée d'encens.

    S'apercevoir que son miroir de Chine est un peu terni.

    Un bel homme, arrêtant sa voiture, dit quelques mots pour annoncer sa visite.

    Se laver les cheveux, faire sa toilette, et mettre des habits tout embaumés de parfum. Même quand personne ne vous voit, on se sent heureuse, au fond du cœur.

    Une nuit où l'on attend quelqu'un. Tout à coup, on est surpris par le bruit de l'averse que le vent jette contre la maison .

     

    (Seï Shôgon « Notes de chevet », pages 59-60)

     

     Ma bien chère Seï Shonagôn,

     

    Après avoir lu ta dernière lettre, je me suis interrogé… Qu’est-ce qui fait battre mon cœur ? Tant de choses le font battre que je ne sais par où commencer. D’ailleurs tenter d’en dresser une liste serait fastidieux.

    Alors je vais procéder comme tu me l’a appris : avec subjectivité. Comme j'aime la subjectivité dont tu fais preuve dans tes notes ! Une subjectivité assumée, revendiquée, spontanée ! Ce qui aujourd'hui est ressenti comme une étroitesse d'esprit tu en fais une ligne de conduite. Quelle liberté il y a à user et abuser de cette subjectivité ! À mon tour d’en user !

     

    Une chose à fait battre mon cœur : notre rencontre. Ce sentiment, à peine ai-je commencé à lire tes « Notes de Chevet », de te connaître depuis toujours. J’imagine l’éclair de malice qui brille à l’instant dans tes yeux, j’imagine ton sourire, presque un rire, qui illumine ton visage alors que tu lis ces lignes. Je le reconnais, ma dernière phrase prête à confusion ! C’est un discours d’amoureux que je viens de te servir ! Rassure-toi, mille années nous séparent, je ne suis pas amoureux de toi ! L’impression de se connaître depuis toujours est un sentiment que l’on partage également lors de certaines rencontres amicales ou intellectuelles, je suis sûr que je ne t’apprends rien, mais tu aimes goûter de la facétie !

    Je ne connaissais rien de toi. Avant notre première rencontre je suis allé sur Internet. Internet est une drôle de chose. Déjà, je trouve curieux de dire « aller sur Internet », alors qu’on ne bouge pas ses fesses de l’endroit où l’on est assis. Internet se gargarise d’un vocabulaire lié au voyage. On y visite un site, on en parcourt un autre, on se rend sur un troisième. On découvre, on s’aventure parfois. Le tout sans bouger si l’on excepte quelques petits mouvements des doigts ou du poignet. Tu pourrais écrire tant de notes sur notre époque !

    Je te disais que j’ignorais tout de toi et que, comme un homme de mon époque, je suis allé surfer sur Internet. Oui, moi dont la tête est aujourd’hui blanchie par les ans, moi qui de ma vie ne me suis jamais projeté montant sur une planche de surf pour affronter la vague, je surfe ! Et en surfant j’ai trouvé l’évocation de ta vie, et, surtout, tes Notes de Chevet, dont je me suis empressé d’acquérir une version dématérialisée pour les découvrir.

    C’est aussi cela notre époque ma bien chère Seï. De chez soi on peut accéder à des mines d’informations dans tous les domaines, accéder à plus de livres que la bibliothèque d’Alexandrie pourrait en contenir. Plus étonnant encore, on peut partir se promener en emportant dans sa poche cette montagne de savoir.

    Tu dois t’imaginer que les femmes et les hommes de mon époque sont plus sages, plus instruits qu’à la tienne. Hélas, je crains de devoir te décevoir… Non, l’humanité n’est ni plus sage ni plus intelligente qu’il y a mille ans. Internet véhicule (toujours ce vocabulaire lié au voyage…), des torrents de haine, de bêtise crasse, d’appels aux plus bas instincts ; au point que certains soirs de pessimisme j’ai l’impression que l’intelligence, la bienveillance, l’empathie ne sont plus que quelques îlots entourés d’une marée furieuse d’imbécillité, d’ignorance, d’inculture, d’obscurantisme et de malfaisance. Je le confesse, cela me fait souffrir parfois…

    Mais je digresse. Il faut dire que je me sens si bien en ta compagnie que je laisse mes pensées aller à leur gré : je sais que tu ne m’en tiendras pas rigueur. Il est des lectures, disais-je, dont je sais avant même de les avoir achevées, qu’elles me laisseront une marque, une trace. Des lectures qui me rendront un peu différent. Un peu grandi ou un peu plus enfant. Un peu plus sage ou un peu plus fou. Mille années nous séparent. Pourtant tes notes sont si modernes, si actuelles, que tu aurais pu les écrire hier. Et j’ai la certitude que mon écriture ne sera plus tout à fait la même depuis notre rencontre. Je pense principalement à l’écriture de l’intime, celle de mon journal, ou celle de cette lettre par exemple. Et la subjectivité, bien entendu, dont je veux m’emparer. Moi aussi, je veux en user et en abuser. L’idée même de la subjectivité à quelque chose de jouissif, je refuse de passer à côté de ce plaisir !

     

    Il est temps pour moi de te laisser, chère Seï, je pense avoir déjà largement abusé de ton temps ! Je vais continuer à parcourir tes Notes de Chevet, en repassant dans ma tête tous ces bons moments que nous avons passé ensemble.

    Bien affectueusement,

     

    Pierre

     

    PS : cet je vais le passer avec Philippe Jaccottet. Je ne le connais que peu, mais il me semble que vous pourriez vous entendre tous les deux. Qu’importent ces presque mille ans qui vous séparent !

     

    ©Pierre Mangin 2023

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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